Pour donner un coup d’accélérateur à cette dynamique de production et de consommation de produits locaux qui secoue le Sénégal, il faut qu’il y ait un paquet d’appuis financiers et non financiers à l’endroit des acteurs qui mènent cette lutte. C’est la conviction de Philippe Barry qui estime que la combinaison de ces deux facteurs pourra permettre de faire émerger une nouvelle catégorie de Petite et Moyennes Entreprises (PME) économiquement viables, structurées avec des dirigeants imbus de leurs rôles de premiers ambassadeurs de la qualité et du professionnalisme sénégalais.
Evoluant dans le secteur industriel national depuis maintenant plus de 25 ans, Philippe Barry est plus que légitime pour apprécier la qualité de l’évolution des entreprises du domaine. Et, à l’en croire, jusqu’à présent, on n’a pas encore une masse critique d’entrepreneurs nationaux, notamment dans le domaine de la transformation des produits locaux, capables de créer une valeur ajoutée et qui puissent tirer le secteur de l’industrialisation vers le haut, de manière significative. « Le niveau est encore faible, il faut faire des efforts parce qu’on continue d’avoir des entreprises qui sont dans des activités de très petites taille avec des marges encore faibles », avoue-t-il.
Cependant, on sent un mouvement de fond dans certains domaines comme le commerce formel, la distribution, les Tic, l’hôtellerie, où l’on note des évolutions en 25 ans. « Je dirais, encore plus dans l’artisanat de production. Et là, on sent qu’il y a un boom. De plus en plus, on voit des femmes entrepreneures qui se lancent dans la transformation agroalimentaire, dans tout ce qui est design confection, dans l’agroforesterie. On voit également qu’il existe de plus en plus de PME formel. Il ya également des jeunes qui créent des Start up et même des moins jeunes dans la transformation, mais ça reste toujours à l’échelle de petites entreprises », souligne-t-il.
Pour booster cet embryon d’écosystème favorable à la production et au consommer local, il faut commencer par ce que Philippe Barry appelle un paquet d’appuis non financiers, car la priorité est à ce niveau. Il comprend trois éléments : Le marketing social, l’accès au marché et le mentorat.
Le Marketing Social :
Il s’agit d’abord du marketing social pour amener le consommateur sénégalais à comprendre l’importance de consommer des produits qui créent de la valeur ajoutée nationale grâce la transformation de matières premières locales et la création d’emplois. Sur ce point, c’est l’Etat qui doit dans le cadre des axes « Economie sociale et solidaire » et « Industrialisation » du PSE2, prendre l’initiative d’accompagner la dynamique du consommer local en facilitant la promotion, dans les organes nationaux de presse, des promoteurs de ces petites entreprises à forte valeur ajoutée, de leurs produits/marques, au lieu de se focaliser juste sur l’appui au financement. « Par exemple, subventionner très fortement les tranches horaires à la télévision, radio et journal d’Etat pour ce type d’entreprises et leurs produits. Une telle décision permettrait d’avoir un écosystème favorable à leur éclosion. C’est ce que j’appelle moi du marketing social ».
L’accès au marché :
La deuxième chose, c’est l’accès au marché. C’est-à-dire voir comment organiser la distribution pour ces produits locaux. Selon Philippe Barry, tout ce qui est l’appui au financement et la formation c’est important, mais ce n’est pas réellement la priorité pour les petites entreprises. Leur priorité est surtout l’accès aux marchés. Comment les produits de ces petites entreprises peuvent-ils être distribués dans le circuit formel, dans des chaînes de distribution telles Auchan, Casino, Carrefour, Stations d’essence Total, Vivo, etc… ? Quel est le rôle et la responsabilité de ces enseignes dans l’accompagnement de ces petites entreprises du secteur formel, leur mode d’accompagnement dans le cadre de leur politique de Responsabilité Sociétale (RSE) ? « Je reste convaincu que c’est d’abord l’accès aux marchés qui fait défaut à ces petites entreprises. Comment arriver à ce que ces produits et marques soient accessibles à une masse critique de consommateurs sénégalais ? C’est tout l’enjeu aujourd’hui car au Sénégal, les produits de l’agroalimentaire, de la cosmétique ou bien de la santé sont pour l’essentiel importés. Si vous prenez le marché du médicament et de la parapharmacie, il est de l’ordre de 40 milliards FCFA de chiffres d’affaires. Quelle est la part que l’entreprise ou l’industrie sénégalaise capte sur ces 40 milliards-là ? N’est-on pas capable de produire et commercialiser dans notre pays nos propres produits cosmétiques et parapharmacie à partir de nos plantes ? Idem pour les produits de maroquinerie avec les chaussures et les sacs importés d’Orient ; quelle est la part que les artisans de production captent sur ce marché-là ? C’est le même cas dans le domaine de l’agroalimentaire. Pourquoi les nationaux ne consomment-ils pas nos produits ? Rien que la communauté des salariés déclarés au Sénégal au niveau de l’Ipres, et qui tourne approximativement autour de 300 000 personnes, constitue à elle seule un important marché, à pouvoir d’achat régulier ».
L’Etat devrait travailler avec les employeurs et entreprises socialement engagés pour faciliter à cette communauté l’accès aux produits fabriqués par ces petites entreprises locales. A l’instar de Sonatel qui avait soutenu il y a 2 ans, durant tout un mois, une exposition vente de produits locaux au sein même de la société afin que le personnel s’approprie les produits « made in Sénégal ». À l’aéroport également, c’est intéressant le fait de voir des produits locaux présentés aux voyageurs dans un rayon de produits « made in Sénégal ». Cela devrait se généraliser même dans les supermarchés avec des rayons de produits locaux. Mais dans ce cas, il faudrait qu’il y ait un accompagnement des supermarchés pour les petits producteurs avec notamment des facilités de règlement des commandes.
Le mentorat :
La troisième et dernière chose importante pour l’éclosion d’une culture de la consommation et de production locale est le mentorat, explique Barry. « Il faut voir aujourd’hui comment amener les dirigeants d’entreprises mais également les cadres à parrainer des entrepreneurs. Et cela peut se faire de manière très simple. Nos concitoyens chefs et cadres salariés d’entreprises ne peuvent-ils pas consacrer par exemple une à deux heures de leur précieux temps, tous les trimestres, pour échanger des conseils et quelques contacts à des entrepreneurs de petites entreprises formelles, dans le cadre de ce que nous appelons le mécénat de compétences ? ».
Malheureusement, il observe que très souvent les entreprises et les chefs d’entreprises sont refermés sur eux même et ne communiquent pas suffisamment, regrette-t-il.
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