Comment accompagnez-vous les porteurs de projets TIC ?
Comme vous le savez peut-être, la réussite et la viabilité financière de l’incubateur, qui est une association, est majoritairement basée sur la croissance du revenu des entreprises que nous accompagnons. L’accompagnement, que nous fournissons, est donc au cœur de nos préoccupations. L’incubateur dispose de deux programmes d’accompagnement en fonction des stades de développement des entreprises. D’abord, le programme d’incubation, pour lequel un jury d’entrepreneurs sélectionne des entreprises générant déjà un minimum de revenu et quelques clients. Ce programme peut durer jusqu’à 3 ans. Ensuite, le programme d’accélération «Buntu TEKI» de 6 mois qui accompagne des porteurs de projets ou entreprises en phase de création mais ayant tout de même développé un premier prototype (site web, application mobile ou logiciel).
Comment ça se passe au niveau du programme d’incubation ?
Dans le premier, le programme d’incubation, les entreprises peuvent bénéficier de locaux tout équipés mis à leur disposition avec l’internet haut débit et une assistante d’accueil. Ils sont accompagnés dans leur gestion comptable et fiscale par une personne dédiée à plein temps aux incubés. Ils sont également soutenus dans leur «business development» ou prospection commerciale par l’ensemble de l’équipe du CTIC. Par exemple, nous organisons des petits- déjeuners d’affaires dans lesquels nous regroupons les clients-cibles de nos incubés (Banques, Assurance, Directeurs de l’Administration, etc.). Au jour le jour, nous aidons nos entreprises à structurer leur développement commercial et les aidons dans la prospection et la vente de leurs solutions. Une équipe de consultants est également mis à la disposition de nos entreprises pour tous les aspects marketing et finance. Nous aidons aussi nos entreprises à avoir des stands dans les salons internationaux et finançons quelques billets d’avion. Enfin, lorsqu’elles sont prêtes, nous soutenons nos entreprises dans leurs levées de fonds. Nous avons d’ailleurs amorcé un groupe de business angels TIC dans ce sens.
Et au niveau du programme d’accélération ?
Dans ce programme, les porteurs de projets sont poussés au test et à l’implémentation de leur solution sur le terrain et à la génération des premiers revenus. Ils bénéficient de locaux partagés et comme pour l’incubation, d’un suivi hebdomadaire et de mise en relation avec des clients ou partenaires potentiels des secteurs privés et publics. Plusieurs ateliers de formation technique ou business sont par ailleurs organisés pour eux.
Enfin, nous nous efforçons de mettre nos entreprises en avant dans de nombreux événements et dans les médias. C’est, en partie, pour cela que avez peut-être beaucoup entendu parler de People Input, Xtreme, Seysoo, Amarante ou encore Nelam Services, l’entreprise derrière Agendakar.com…
Nos résultats sont plus ou moins satisfaisants jusqu’ici. En effet, nos entreprises ont connu une croissance moyenne de leur chiffre d’affaires de 33% en 2011 et 85% en 2012 alors que, comme vous le savez, on est dans un environnement où 85% des entreprises ne dépassent pas les premières années d’existence.
Nous accompagnons aujourd’hui 11 entreprises en incubation et avons déjà accompagné quelques 30 start-ups en accélération. Les entreprises incubées recrutent aujourd’hui quelques 150 personnes. Nous espérons, dans les années à venir, faire beaucoup plus si nous réussissons à étendre l’incubateur.
Quelles sont les contraintes empêchant une éclosion d’une véritable industrie TIC ?
Comme nous le disions, nous sommes dans un environnement où l’entreprise globalement peine à se développer. Ceci, bien entendu, se reflète aussi dans notre secteur qui présente des spécificités et qui fait que nos entreprises vivent parfois certaines contraintes de manière plus accrue. Nous allons juste aborder 3 des principales contraintes. La première, c’est la vision.
Il est très important, dans notre domaine, qu’une vision claire et partagée soit définie pour le secteur. Nous sommes d’avis que le Sénégal pourrait se positionner incontestablement comme le hub des TIC de l’Afrique à l’instar du Kenya qui a défini une politique ambitieuse dans ce sens et qui est en train d’y mettre les moyens. Depuis plus d’une vingtaine d’années, on parle du potentiel du Sénégal, mais pas de réalisations concrètes. Le Secteur privé a décliné sa vision et l’Administration a affirmé une volonté politique dans ce sens. Nous espérons, dans les mois à venir, qu’une vision ambitieuse sera clairement déclinée et partagée par les différentes parties-prenantes afin qu’en définitive, nos entreprises puissent s’inscrire dans une réelle dynamique de développement.
Y a-t-il un réel accompagnement des entreprises TIC ?
Le secteur des TIC compte quelques 350 entreprises et participe à hauteur de 7 à 9% au PIB selon les chiffres fournis par la Stratégie de Croissance Accélérée. Il a été défini, comme objectif, de porter cette contribution à 15% dans les années à venir. Cependant, cette contribution est essentiellement portée par les entreprises Télécoms. Ce qui rend insignifiante la contribution des PME/ TIC.
Il est impératif que ces entreprises TIC soient soutenues pour une participation active dans le processus de croissance du pays. Cela passera par une meilleure rationalisation du dispositif d’accompagnement des PME en général (vieille revendication du Secteur privé), mais de manière plus spécifique pour les entreprises du secteur TIC. Il faut un dispositif de pré -incubation dans les universités pour accompagner les porteurs de porteurs de projets dans le processus de formalisation. Aussi, des incubateurs d’entreprises accompagnant les entreprises à différents niveaux (accélération, développement, post-incubation). Un cyber-village offrant les infrastructures optimales aux entreprises d’une taille plus importante. Tout cela doit se faire de manière articulée et cohérente en collaboration avec les différentes parties prenantes.
Quid de l’accès au financement ?
Comme dans tous les secteurs, le financement de l’entreprise reste une réelle problématique. Cependant, nos entreprises disposent de très peu d’immobilisations corporelles et donc ne sont pas en mesure de présenter des garanties auprès des institutions financières. Le financement devrait être mieux structuré en fonction de l’état d’avancement des projets. Il faut créer un fonds d’amorçage pour les porteurs de projets à l’issue d’un processus rigoureux de sélection accompagné d’un encadrement dans la mise en œuvre. Puis, des fonds ou clubs de business angels avec des dispositifs mis en place par l’Etat pour promouvoir l’investissement. Ou encore des fonds de co-investissement initiés grâce au Fonds du Service universel ou d’autres fonds existants. Enfin, des fonds de garantie dédiés au secteur des TIC pour permettre aux entreprises d’une taille plus importante de travailler avec les banques. Pour que ces dispositifs puissent bien fonctionner, il est aussi important que les entreprises acceptent d’être plus transparentes et s’inscrivent dans une réelle dynamique de bonne gouvernance d’entreprise.
Au final, quelles solutions préconisez-vous ?
Je pense que quelques solutions simples et pragmatiques peuvent être trouvées pour développer plus d’incubateurs afin d’accompagner les PME/ TIC dans leur gestion et leur développement commercial et ainsi développer un tissu économique dense d’entreprises TIC innovantes et d’envergure international. Ensuite, il faut mettre en place des fonds publics de soutien à la recherche scientifique et à l’innovation pour favoriser l’émergence d’entreprises et de solutions TIC innovantes, notamment liées aux autres secteurs de l’économie (Tourisme, Agriculture, Banque, Education, etc.). Il faut également dynamiser l’enseignement supérieur par des programmes d’entrepreneuriat et davantage de liens avec l’industrie afin de pallier au manque de compétences «applicables» des jeunes diplômés et multiplier le nombre de projets d’entreprises. Enfin, appliquer la législation sur l’attribution systématique des marchés publics aux PME nationales. Sans quoi, ces dernières ne pourront jamais grandir et le pays sera toujours «dépendant», technologiquement parlant. Mais soyons positifs, certaines de ces mesures sont déjà mises en œuvre et sont en train de placer le Sénégal en tête des pays africains sur les questions d’entrepreneuriat TIC.
Alors, faites-nous le bilan des JETIC ?
L’objectif premier était, pour nous, de réunir les acteurs de l’écosystème de l’entreprenariat TIC autour des véritables problématiques du secteur et de mettre en avant le potentiel des entreprises et porteurs de projets que nous accompagnons.
Pendant 3 jours, nous avons échangé avec les plus grands acteurs du secteur et nous avons reçu plus d’un millier de visiteurs. Nous pensons que les différents acteurs du secteur développent, chacun de leur côté, de grandes initiatives mais ces acteurs ne se parlent pas assez. Nous avons la chance d’être un partenaire privilégié de la plupart de ces acteurs et chaque fois que l’occasion nous est donnée, nous en profitons pour consolider ce dialogue. Le développement du secteur ne se fera pas par un ou deux acteurs mais à travers une véritable synergie des différentes parties-prenantes et les JETIC ont été, pour nous, un temps fort pour partager cette vision avec nos parties prenantes.
Organiser le JETIC fut un challenge de taille pour la petite équipe du CTIC (7 personnes) qui ne dispose pas, de surcroît, de ressources financières pour organiser ce type d’événement. C’est la première fois, depuis plusieurs années, qu’une structure locale organise un événement de cette ampleur qui a fédéré autant le Secteur privé. Nous y sommes parvenus parce que nos partenaires ont cru en nous et ne cessent de nous accompagner, de plus en plus. Je veux en profiter pour remercier, au nom de CTIC Dakar mais et au nom du Secteur privé TIC, tous ces acteurs qui ne cessent d’œuvrer pour le développement du secteur.
Enfin, de nombreux projets innovants ont vu le jour grâce aux compétitions universitaires (Start-Rek) et aux deux jours intenses de coaching pour 10 projets (Tekki48), remporté par la startup de synthèse vocale Voxygen.
Nous pensons faire des JETIC 2014, un événement encore plus fédérateur du secteur des TIC et contribuer, à notre manière, à ce que le Sénégal devienne ce hub technologique de l’Afrique dont nous avons toujours rêvé. Et, de plus en plus, on se rend compte que c’est possible. Il faut juste que tous, ensemble, nous osions !!!
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