Thomas Friedman, dans son ouvrage «The World is Flat», raconte son voyage à Bangalore (Inde) où il a réalisé que la mondialisation a changé les concepts économiques basiques : cet aplatissement est la synthèse de l’accès accru aux ordinateurs personnels, à la fibre optique et aux logiciels d’optimisation de rendement. Pour lui, la période actuelle est celle de la mondialisation 3.0, différente de la mondialisation 1.0 (pays et gouvernements comme principaux protagonistes) et 2.0 (entreprises multinationales pour l’intégration globale).
Dans ce monde globalisé et «plat», les pays sont en concurrence entre eux en termes d’attractivité de leur marché et d’opportunités d’investissements. Les négociations commerciales internationales restent complexes car chaque marché essaie de se protéger. Pour une meilleure chance de survie, l’union des Etats reste la meilleure option.
C’est ainsi que l’Union européenne poursuit ses efforts d’élargissement vers l’Est pour étendre son marché, que la croissance de l’Asie est portée par la force de l’ASEAN, que l’Amérique du Sud renforce son intégration au sein de la NAFTA.
L’Afrique ne peut, évidemment, pas rester en marge de cette dynamique pour rester compétitive. Elle doit penser son intégration à trois niveaux :
- Politique: l’Union Africaine constitue le porte-voix de 54 Etats. Malgré ses imperfections, il faut déterminer comment renforcer son poids et éviter que, lors des grands sommets internationaux, les Etats finissent par tenir des discussions bilatérales séparées. Ils rendent ainsi inaudible la voix du continent et diminuent son pouvoir de négociation.
- Des affaires: il est regrettable que le secteur privé soit rarement, si ce n’est jamais, invité à participer aux grandes messes politiques du continent pour faire entendre sa musique. Aucun pays ne s’est développé sans un secteur privé fort, créateur d’emplois et de croissance.
- Des échanges commerciaux: reconnaître que les marchés, pris séparément, sont trop étroits et renforcer le rôle des organisations régionales qui sont toutes, plus ou moins efficaces, dans leurs régions respectives.
Néanmoins, de nombreux défis persistent dans cette voie idéale vers l’intégration. Le plus criard reste, bien sûr, celui des infrastructures. Comment penser «collaboration régionale» tant que le partage des ressources énergétiques par le biais des power pools n’est pas efficient ? Comment moderniser les voies de transport pour prendre avantage des ressources naturelles ? Idem pour les biens et les personnes. Comment fédérer les efforts pour construire des autoroutes à péage et tirer profit du trafic combiné de plusieurs pays ? Comment optimiser les réseaux de télécommunications ?
Le second défi, tout aussi aigu, est celui des barrières administratives (visas, tracasseries policières et douanières aux frontières, etc.).
La solution passe par une intégration régionale dans une perspective de corridor : des infrastructures intégrées, combinées à une administration et une police dédiées pour fluidifier les interactions. Une telle approche a notamment tout son sens dans le cadre des régions du continent, constituées de pays enclavés, voisins d’autres avec accès sur la mer, par exemple, pour faciliter les approvisionnements et échanges respectifs ou élargir la taille des marchés.
A ce stade, les corridors restent, malheureusement, un vœu pieux en raison d’un manque de volonté politique : chaque Etat croit encore en son autosuffisance, avec l’aide des bailleurs internationaux, au lieu de se rendre compte que son destin est lié à celui de son voisin. Le choix même des projets structurants, pour un pays, doit être pris dans une perspective régionale et, non juste nationale, pour intéresser le secteur privé par des forums d’investissement conjoints et tirer parti d’un surplus éventuel de production d’énergie dans un pays, par exemple. Les organisations sous- régionales ont alors tout leur rôle à jouer dans l’identification de projets porteurs d’intégration. Enfin, il s’agit de pérenniser les initiatives dans ce sens, même en cas de changement de régime, au niveau national.
Nous sommes à une étape de notre développement où nous ne pouvons ne pas fédérer nos efforts de développement, de mobilisation des ressources et de promotion de l’image de nos pays. La notion de «local» ou «national» doit être désormais comprise comme au moins «régional». Les pères des indépendances africaines l’avaient bien compris avec leurs idéaux de panafricanisme. A nous de relever le flambeau, pour des raisons de fierté africaine, et aussi tout simplement de pragmatisme économique.
Ibrahima Cheikh Diong
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