Le vote de la loi n° 272015 portant sur le Waqf, le vendredi 24 avril 2015, constitue certainement un évènement majeur dans le processus enclenché par les pouvoirs publics aux fins de promouvoir la finance islamique, dans un contexte où celle-ci a fini de s’imposer comme une entité spécifique du système financier international aux potentiels indiscutables.
Le Waqf est une forme d’aumône qui consiste à préserver un actif afin de donner l’usufruit qu’il génère à des œuvres de bienfaisance. Dans le droit musulman, le Waqf est classé dans la catégorie des aumônes durables (sadaqah jaariayah), dont les bienfaits continuent d’être comptabilisés en faveur du donateur même après sa mort. Par conséquent, le bien, objet du Waqf doit, en principe, être durable (exemple : bien immobilier), même si certains juristes acceptent la constitution d’un Waqf temporaire.
Plusieurs textes peuvent être évoqués pour justifier l’importance du Waqf. Dans un hadith rapporté par Abou Daoud, le Prophète Sallallaahou Alyahi Wasalam (SAW) dit : « Lorsque le fils d’Adam meurt, ses œuvres cessent d’être comptabilisées à l’exception de trois catégories (qui continuent à lui être attribuées, après sa mort): 1) Une aumône durable; 2) un savoir qui demeure dans le temps; et 3) un enfant vertueux qui prie pour lui ».
Cette opportunité offerte par le Waqf pour bénéficier de bienfaits éternels explique certainement son développement fulgurant, en catégorie et en volume, dans l’histoire de l’Islam.
La mosquée de Qouba, construite par le Prophète (SAW) lors de son émigration de la Mecque à Médine, est le premier Waqf dans l’histoire de l’islam. C’est un Waqf à caractère religieux. Avec le temps d’autres types de Waqf virent le jour. Ainsi, sur conseil du Prophète (SAW), Omar ibn Khattab, constitua une ferme, la plus valeureuse de tous ses biens, en Waqf. L’usufruit généré était destiné à différentes œuvres de charité en faveur des populations, y compris les membres de sa famille. Conformément aux règles régissant le Waqf, cette ferme constituée en Waqf, ne pouvait plus faire l’objet ni d’héritage ni d’une quelconque autre forme de transfert de propriété. Ainsi, le Waqf évolua – t- il pour embrasser le domaine social. Toujours durant la vie du Prophète (SAW), on assista à une autre évolution du Waqf pour couvrir les services publics, avec la constitution du puits de Roumah en Waqf par Ousmane ibn Affane, durant une pénurie d’eau potable où l’Etat n’était plus en mesure d’assurer l’approvisionnement correct en eau.
L’engouement pour le Waqf s’était très tôt généralisé à telle enseigne que tous les compagnons du Prophète (SAW), qui en avaient les moyens, avaient constitué des Waqf. Ce développement continua à travers l’histoire, à tel point que l’essentiel des services sociaux tels que l’éducation et la santé étaient pris en charge par les revenus du Waqf, comme l’ont rapporté des historiens tels que Ibn Batouta et Ibn Joubayr. La grande université d’Al Azhar, la première du monde, est un exemple d’institution éducative constituée en Waqf. Cette tradition a été d’ailleurs reprise en Occident, où les plus prestigieuses universités ont leurs propres fondations (donc des Waqf) dont les revenus couvrent une bonne partie de leurs charges. A fin juin 2014, les actifs de la Fondation de l’université Harvard (Harvard Endowment) étaient à 36,4 milliards de dollars, avec un rendement annualisé de 15,4% ! (Le budget du Sénégal fait moins de 6 milliards de dollars). Ce n’est pas surprenant alors, qu’elle soit parmi les meilleures universités du monde !
L’institution du Waqf n’a pas pu échapper aux conséquences néfastes du déclin multidimensionnel du monde musulman durant ces derniers siècles. Ainsi beaucoup de biens de Waqf furent perdus ou tout simplement confisqués dans certains cas par le fait d’administrateurs privés véreux et dans d’autres par le fait de pouvoirs coloniaux ou de gouvernements. Toutefois, la prise de conscience de beaucoup d’Etats des opportunités que présente l’institution de Waqf, notamment dans le domaine socioéconomique, les a amenés à lui accorder une attention particulière. Cette attention se manifeste à travers la mise en place d’un cadre juridique et organisationnel approprié pour un développement optimal du Waqf.
Il serait bon de préciser que le tiers secteur (le secteur à but non lucratif) bénéficie d’un regain d’intérêt dans les économies mondiales et en particulier dans les pays avancés. A titre d’exemple, la contribution du tiers secteur à l’économie américaine, en 2012, était de 887 milliards de dollars soit 5,4% de son PIB.
Au Sénégal, la nouvelle Loi sur le Waqf devrait permettre la protection et la préservation des Waqf existants, l’encouragement de la constitution de nouveaux Waqf (avec des ressources internes ou externes) et le bon usage des revenus des Waqf.
Il est loisible de remarquer la prédominance des Waqf religieux au Sénégal avec les milliers de mosquées et de cimetières. Les autres catégories de Waqf sont plutôt rares. On peut citer à titre d’exemple, les Waqf de Serigne Mourtalla Mbacké sous forme d’écoles, de moyens de transport, de boulangeries, …
La loi représente donc un pas très important vers la constitution d’un cadre favorable au développement du Waqf avec un plus grand impact dans le domaine socioéconomique. On peut en discuter quelques aspects.
La première fonction socioéconomique du Waqf est celle de la redistribution. En effet, avec le Waqf, des donateurs, qui sont en général riches, transfèrent, de manière permanente, une partie de leur patrimoine à des catégories de population, le plus souvent, vulnérables. A la différence des autres types d’aumône, le Waqf impacte positivement l’investissement dans le sens où l’actif n’est pas destiné à la consommation mais plutôt à un investissement qui garantit sa pérennité. Cette caractéristique d’accumulation en vertu de laquelle, tout nouveau bien constitué en Waqf vient s’ajouter à des biens déjà existants qui doivent être systématiquement préservés, explique le volume impressionnant des biens de Waqf dans bien des pays musulmans. Déjà au 19ième siècle en Algérie, par exemple, la moitié des terres arables étaient des Waqf.
Le Waqf peut sensiblement appuyer les pouvoirs publics dans la prise en charge des dépenses dans des secteurs aussi stratégiques que l’éducation et la santé. Au Soudan, des résidences universitaires pour les étudiants ont été réalisées à travers le Waqf. En Malaisie, Johor Corporation, une grande compagnie de l’Etat de Johor établit différents types de Waqf dont une chaîne de seize (16) cliniques et un hôpital qui offrent des soins de santé à bas prix aux démunis. En 2011, 770 000 patients ont bénéficié des services de ces structures dont 6% de non-musulmans.
L’une des applications innovantes de Waqf est son intégration au système financier en offrant des services aux plus démunis à travers des institutions de microfinance, d’assurance et de garantie. Cette intégration est de nature à rendre le système financier plus inclusif et plus diversifié.
Théoriquement, le potentiel du Waqf pour mobiliser des ressources est énorme étant donné la forte propension des Sénégalais à donner l’aumône. Seulement, l’impact macroéconomique de cette générosité est discutable dans la mesure où le nombre de mendiants ne semble pas baisser. Certainement, il serait possible de faire face efficacement à ce phénomène de mendicité, à condition que l’aumône soit mutualisé sous forme de Waqf et les mendiants qui en sont les bénéficiaires bien organisés.
Toutefois, pour tirer le maximum de profit des potentialités du Waqf, il serait important de tenir compte de certaines considérations.
D’abord, la gestion des Waqf doit être un exemple de rigueur, d’intégrité et de transparence, pour gagner la confiance des potentiels donateurs qui décident volontairement de céder une partie de leur patrimoine au profit d’œuvres d’utilité publique. Si les nominations au niveau de l’administration du Waqf sont motivées par des considérations politiciennes, l’adhésion populaire nécessaire au développement du Waqf au Sénégal sera ratée.
Une communication efficace est l’autre considération à prendre en compte. En effet, bien que la pratique du Waqf existe déjà au Sénégal, la vulgarisation des différents types de Waqf est nécessaire pour sensibiliser les potentiels donateurs sur les mérites des autres types de Waqf comme ceux à but social. Il peut arriver de trouver des mosquées très voisines, qui ne se remplissent pas lors des cinq prières, alors que le quartier manque d’écoles adéquates pour enseigner la religion ou de centres de santé pour soigner les populations. Pourtant la même Sounnah qui nous enseigne que la construction d’une mosquée est un visa d’entrée au Paradis, nous apprend aussi qu’une personne est entrée au Paradis pour avoir sauvé la vie à un chien.
Abdoul Karim DIAW, PhD
Directeur du cabinet Al-Itqan, Conseil et Formation en Finance islamique (ACOFFIS)
abdoulkarimdiaw@gmail.com
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