L’actualité de ces derniers jours est fortement marquée par un nouveau drame de l’émigration clandestine vers l’Europe. Le naufrage du dimanche 19 avril dernier au large des côtes libyennes a faite a fait près mille morts, dont plusieurs de nos compatriotes sénégalais. Il y avait même à bord des enfants de 10 à 12 ans. Cela n’a pas, outre mesure, fait des vagues !
Il y a bien des raisons de s’interroger encore sur notre réelle capacité commune à nous émouvoir et à nous indigner. Tellement la comptabilité macabre charriée par l’émigration dite clandestine est ahurissante pour ne pas dire scandaleuse. Ces spectacles morbides commencent à relever, dans nos consciences indifférentes et blasées, de la simple anecdote au vu de la longue liste de drames identiques qui sont le lot de ces « desperados ».
Quelle perte cruelle que la mort aussi atroce que répugnante de ces pauvres enfants et des milliers d’autres personnes qui ont péri dans les mêmes conditions sans mériter de nous quelques un torrent de sécrétions lacrymales. La vie de nos concitoyens d’Afrique et des autres pays pauvres aurait-elle moins de valeur qu’ailleurs ? Voudrait-on nous le faire croire qu’on ne s’y prendrait pas autrement !
Il est temps d’arrêter ce massacre silencieux qui prend, sans exagération aucune, les allures d’une Traite négrière moderne. Pourquoi ce scandale itératif et récurrent n’émeut pas outre mesure ? Combien sont-ils à finir de la sorte. Certainement des milliers, voire plus ! L’Europe, chaque jour que Dieu, densifie sa forteresse et sa tour d’ivoire en érigeant des barricades légales et réglementaires au mépris des règles de la circulation des biens et des personnes.
La « criminalisation » de l’émigration, c’est la politique de l’autruche consistant à occulter les vrais problèmes en détournant le regard. Les solutions dont nous avons besoin ne sont pas techniques, elles sont fondamentalement éthiques et humaines. Le cours de l’Histoire est comme une courbe ou une boule qui tourne. Rien n’est définitif.
Les pays pompeusement appelés pays d’accueil devraient savoir raison garder et regarder la réalité en face. Se barricader, via l’ « immigration choisie » pour repousser les vagues de l’immigration n’est pas une panacée. C’est en revanche comme un cautère sur une jambe de bois. Inefficace. Croire le contraire, c’est prendre des vessies pour des lanternes.
Quand on durcit les lois pour obtenir un visa d’entrée, on encourage ipso facto la migration irrégulière. Pour la bonne et simple raison que les candidats se disent que c’est perdre son temps que d’aller dans les consulats qui ressemblent souvent plus à des bunkers qu’à des représentations diplomatiques, en raison de leur architecture ultra sécuritaire.
L’Europe et partant l’Occident ne pourront continuellement s’isoler du reste du monde pour se partager l’écrasante majorité des richesses en toute quiétude. Ce n’est ni juste, ni possible. Selon L’Observatoire des inégalités, « moins de 10 % de la population mondiale détient 83 % du patrimoine mondial, alors que 3 % vont à 70 % des habitants. L’Amérique du Nord et l’Europe en possèdent 65 %. ». Les pays industrialisés, les pays du Nord, concentrent 16 % de la population mondiale mais produisent 70 % de la richesse dans le monde. Les pays du Sud abritent 84 % de la population mondiale et détiennent à peine les 30% de la richesse mondiale. Renversant que ce monde où l’économie est devenue une guerre non conventionnelle où tous les coups sont permis !
Il faut du reste relever que ce sont ces processus d’accumulations et de thésaurisations outrancières qui expliquent en partie cette crise qui est davantage morale qu’économique. On a transformé nos économies en de vastes supermarchés à ciel ouvert et nos pays sont devenus des sociétés terminales qui ne sont jugées aptes qu’à consommer. Nos balances de paiement en parlent éloquemment. Elles sont structurellement déficitaires. Nos greniers sont à des milliers de kilomètres de chez nous. Ce qui nous rend particulièrement vulnérables aux pressions et autres conditionnalités des bailleurs de fonds. On ne peut pas passer par pertes et profits le passif historique, économique et humain qu’ont produit les ajustements et autres programmes à l’efficacité plus que douteuse et de manière lointaine, l’esclavage et le colonialisme sans oublier les effets néfastes, aujourd’hui, de la mondialisation.
Après avoir déstabilisé la Lybie- qui n’était cependant pas un modèle de gouvernance- en y laissant le chaos, l’Europe aura du mal à endiguer les vagues de l’immigration qui partent de ce pays exsangue. L’Union africaine et les pays qui la composent ne peuvent également continuer à jouer les spectateurs face au désastre dans ce pays désagrégé. Ils doivent s’investir davantage pour rétablir la stabilité dans ce pays frère où se développe un véritable trafic de migrants vers l’autre rive de la Méditerranée.
Traite négrière moderne
Evidemment, nous n’évacuons pas du tout, loin s’en faut, la responsabilité des élites et des peuples du Sud et notamment d’Afrique dans notre situation actuelle. Elle est grandement engagée. D’ailleurs, ils en répondent quotidiennement sur le terrain sociopolitique.
C’est le lieu ici de clamer à haute et intelligible voix que la voie du salut de nos nations est entre nos mains. Il nous faut un aggiornamento, un changement de paradigme mental. La solution est essentiellement en nous-mêmes avant d’espérer un appui des autres qui gèrent d’abord leurs intérêts, comme le confessait le Général Charles De Gaulle.
Il est nécessaire donc de dire à ces jeunes mus par la réussite sociale et qui prennent les pirogues et les bateaux à l’assaut d’un eldorado illusoire que l’avenir de l’Afrique et de leurs pays est entre leurs mains et celles de leurs dirigeants pour reconstruire et développer l’Afrique et la sortir de son sous-développement entretenu. Aucun pays ne peut vivre en autarcie en se repliant sur lui-même car il a besoin de nouer des partenariats, de commercer avec le reste du monde, de s’inspirer des bonnes pratiques en ne « réinventant pas la roue ou l’eau chaude », mais il faut d’abord compter sur ses propres ressources pour prendre un nouvel élan qui nécessite quelques sacrifices au départ.
Pour y parvenir, nous avons besoin d’adopter une nouvelle conscience de l’objection. Dire qu’un autre monde nous est accessible, un monde fait de travail, de solidarité des peuples, de justice sociale internationale, bref de bien-être partagé. Il nous faut donc reconstruire les fondements de notre conception des choses et replacer l’être humain à sa vraie place.
Ce fléau doit être pris à bras le corps pour redonner leur dignité humaine à ces « damnés de la terre, des airs et des mers ». Concrètement pour arrêter cette saignée voire la métastase de ce cancer que constitue l’émigration clandestine, il est nécessaire d’avoir une nouvelle stratégie et des programmes de rupture pour maintenir au maximum les populations dans leur terroir par la création de nombreux emplois pour occuper la jeunesse. Si les moyens de se réaliser existent sur place, à quoi bon prendre le chemin risqué quasiment suicidaire de l’exode. L’être humain, par nature, est attaché à son milieu. Il ne s’exile que pour améliorer ses conditions de vie et d’existence. Il faut donc des solutions de fond qui passent par une redistribution équitable des richesses qui appartiennent à toute l’Humanité. Tout devient possible, il suffit de le vouloir pour le pouvoir.
Ballé PREIRA
souye76@gmail.com
Discussion à ce sujet post