Chaque mois, l’Observatoire du football du Centre international d’étude du sport décrypte pour Le Monde les grandes tendances qui traversent le football européen.
Le football anglais est le leader financier incontesté du football européen et mondial. Pourtant, aucune équipe d’outre-Manche ne s’est qualifiée pour les quarts de finale de la Ligue des champions qui débutent mardi 14 avril. Simple coïncidence ou démonstration que l’argent n’est pas aussi roi qu’on le croit ? Les huitièmes de finale de la Ligue des champions ont été très amers pour les clubs anglais. Si Manchester City et Chelsea n’ont pas eu un tirage au sort facile, c’est surtout la manière dont ils ont été éliminés par Barcelone et par le Paris Saint-Germain qui devrait inquiéter les supporteurs.
De même, la qualification de Monaco aux dépens d’Arsenal est amplement méritée du point de vue du jeu exprimé lors du match aller. L’organisation de l’équipe de la principauté a été pratiquement parfaite face à un club londonien truffé de talents, mais où chaque joueur a cru pouvoir résoudre à lui seul le duel. Il n’y a donc plus de clubs anglais en quarts de finale, une situation qui ne s’était produite qu’une seule fois depuis la saison 1995-1996, mais tout de même pour la deuxième fois depuis 2012-2013. Ce n’est probablement pas dû au hasard. Si l’argent est le nerf de la guerre, force est de constater que les clubs anglais n’en font pas le meilleur usage.
Aucun club n’avait autant dépensé que le Real Madrid
Nous pouvons postuler qu’au-delà d’un certain seuil permettant aux clubs de garder leurs meilleurs joueurs et d’étoffer leur effectif avec un ou deux talents par an, l’argent n’est plus aussi décisif qu’on le croit souvent. Au-delà de la monnaie sonnante et trébuchante, d’autres éléments entrent en ligne de compte : programmation, philosophie de jeu, tradition, ambiance dans le vestiaire, environnement, identification, etc.
Mais où se situe le seuil au-dessus duquel l’argent perdrait de l’importance ? Et surtout, comment va-t-il évoluer à l’avenir ? De 2009-2010 à 2013-2014, la moyenne des sommes de transfert payées pour recruter les joueurs présents dans l’effectif des équipes finalistes a été de 230 millions d’euros. On observe cependant une inflation des coûts pour assembler une équipe gagnante. Lors de la saison en cours, alors que nous n’en sommes qu’aux quarts de finale, les huit équipes qualifiées ont dépensé en moyenne 270 millions d’euros pour recruter les joueurs présents dans l’effectif.
Dans l’histoire du football, aucun club n’avait autant dépensé pour composer son effectif que le Real Madrid lors de la saison en cours : 590 millions d’euros. Le club ayant le moins investi, le FC Porto, a grandement bénéficié de l’aide d’investisseurs tiers pour accéder au parc de joueurs à sa disposition. Le « vrai » montant est vraisemblablement supérieur à celui enregistré pour Monaco.
Les montants à investir en salaires et transferts pour prétendre disputer et remporter la Ligue des champions sont sans doute destinés à s’accroître à l’avenir, parallèlement à l’augmentation des chiffres d’affaires du cercle restreint des clubs les plus riches et célèbres. La Premier League anglaise vient de conclure un accord qui, pour la période 2016-2019, lui rapportera près de 7 milliards d’euros en droits de télévision : une augmentation de 70 % par rapport au contrat actuellement en vigueur. La vente des droits pour les marchés étrangers complétera ces recettes à hauteur de 4 à 5 milliards d’euros. Cette manne permettra aux clubs anglais de dominer leurs concurrents sur un plan financier, encore plus qu’aujourd’hui.
Dégradation extrême de l’équilibre
Si les vingt équipes de Premier League font d’ores et déjà partie des quarante clubs avec le plus gros chiffre d’affaires en Europe, dans deux ans, elles seront probablement toutes dans le top 30, et quinze aux vingt premières places. A ce rythme, la Premier League pourra attirer encore plus de talents et deviendra l’équivalent de ce que représente la National Basketball Association (NBA) pour le basket. Néanmoins, il sera intéressant d’analyser dans quelle mesure la domination économique se transposera sur le plan sportif. Le Real Madrid, le FC Barcelone, le Bayern Munich et le Paris Saint-Germain, sauf entrave majeure pour cause de désengagement des mécènes actuels ou de fair-play financier, vont-ils continuer à être des rivaux sérieux, malgré leurs budgets probablement bien plus petits que ceux des clubs anglais ?
Dans tous les cas, sans nouveaux mécanismes de distribution ou réformes radicales des formats de compétition, le nombre de clubs participant à la Ligue des champions avec une ambition légitime de la remporter ne va pas augmenter. Bien au contraire, il faut plutôt s’attendre à une baisse. Nul ne peut dire aujourd’hui jusqu’où peut aller ce processus. Finalement, peut-être, ce sera justement une dégradation extrême de l’équilibre qui permettra à la grande « famille » du football d’envisager sérieusement des solutions. Pour l’instant, comme pour le réchauffement climatique, il y a toujours des négationnistes prêts à s’insurger pour affirmer que le déséquilibre n’est qu’une vue de l’esprit.
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