Leader du secteur avec près de 60% de parts de marché sur les dépôts, le Crédit Mutuel du Sénégal (CMS) continue son évolution. Son Directeur Général, M. Mouhamed Ndiaye, a procédé à une fine analyse le secteur. Selon lui, les autorités devraient envisager des mécanismes facilitant l’accès à des ressources stables et suffisantes leur permettant d’allouer des crédits à faible coût.
Comment analysez-vous l’évolution secteur de la Microfinance ?
Le secteur évolue quand même bien si on apprécie les indicateurs de portée. D’abord, il y a davantage de populations bénéficiaires de nos services, avec plus de 1 900 000 membres. Cela traduit un bon taux de pénétration qui est de 15% globalement, rapporté à la population active, le taux se situerait à 30%. Un autre indicateur, qui me semble important à souligner pour montrer la vitalité du secteur, c’est le maillage au niveau national. Il y a une bonne couverture du territoire par les institutions de microfinance et nous avons une diversité d’offres très enrichissante.
Et le positionnement de CMS ?
Le CMS conserve toujours sa place de leader à partir du dernier rapport de la DMF, publié le 30 juin 2014. Sur les dépôts, CMS détient 60% des parts de marché. Sur le crédit, nous sommes à 42,70%. Au niveau du sociétariat, ce n’est pas moins des 38,70% du marché.
Le passage du taux d’usure de 27% à 24% a-t-il eu impact sur les taux d’intérêt ?
Naturellement ! La baisse du taux d’usure de 27% à 24%, c’est une instruction de l’autorité monétaire et nous sommes tenus de l’appliquer depuis le 1ier janvier 2014. Le taux effectif global, qui traduit le coût du crédit à la sortie, ne doit pas excéder 24%. Donc, nous nous sommes conformés à cette nouvelle exigence de la réglementation.
Néanmoins les clients continuent de considérer les taux élevés…
En termes de taux, le client va toujours demander moins cher. C’est tout à fait normal ! Mais, vous savez, la ressource a un coût aussi. Si on pouvait avoir des ressources à moindre coût, effectivement, nous aurions des taux de sortie plus bas. Ça dépend du marché et nous essayons de faire de notre mieux. A chaque fois que nous avons une marge de manœuvre pour baisser davantage le taux on le fait. Il y va même de la compétitivité de notre offre condition essentielle pour la pérennité de notre activité. Aujourd’hui, grâce à certaines conventions signées avec des partenaires dont l’Etat, nous avons pu délivrer des crédits à 5% ou 6%. Les coûts varient donc en fonction des ressources.
Quelle est la place des PME dans votre portefeuille ?
Au 30 juin 2014, nous avons financés 107 PME pour plus de 2 milliards FCFA. En décembre 2013, nous avions 252 PME financées pour une enveloppe globale d’environ 6 milliards. Nous espérons que d’ici la fin de l’année, ces chiffres vont être confirmés. Globalement, les PME représentent un peu moins de 10% de notre portefeuille. Il y a encore des efforts à faire et il faut reconnaitre qu’ils procèdent de la conjugaison de plusieurs facteurs. Les contraintes de garantie, de formalisation sont entre autres facteurs limitant. Toutefois les tendances observées nous confortent dans l’idée que nous parviendrons à des chiffres plus éloquents.
Aujourd’hui, la question de la gouvernance revient avec insistance dans votre secteur…
Vous savez, manager un Système financier décentralisé de type mutualiste, c’est parfois très difficile. Ce n’est pas comme des sociétés anonymes dotées d’un conseil d’administration unique. Nous sommes très décentralisés avec plusieurs structures et organes de gouvernance. Notre secteur suscite beaucoup d’intérêt vu son positionnement et ses enjeux au plan économique et social. Sous ce rapport, il convient de souligner des efforts consentis à tous les niveaux pour se doter d’un cadre de bonne gouvernance avec l’adoption de code de déontologie, de règles et procédures inspirées des bonnes pratiques et j’en passe…
Et au niveau du secteur lui-même, que faudrait-il faire ?
Il faudrait davantage d’échanges, de partage d’informations des bonnes pratiques, de manière à pouvoir s’enrichir mutuellement. Il faut aller vers une logique de mutualisation de la gouvernance. Déjà, nous avons une plateforme pertinente, l’AP/SFD, qui peut bien jouer ce rôle et nous aider à fédérer nos acquis et les consolider. Cela fait partie de ses chantiers qui sont très bien suivis. En renforçant les moyens d’actions de l’APSFD nous parviendrons à stabiliser les mutations qui s’opèrent dans le secteur.
Il y va quand même de l’image du secteur…
Je pense que l’image du secteur va très bien avec une forte implication des sociétaires à travers les élus dans les instances de gestion et de contrôle. Ce qui fait la particularité du secteur comparé au secteur bancaire classique par exemple.
Comment appréciez-vous l’évolution institutionnelle avec un nouveau ministère en charge de votre secteur ?
C’est une très bonne chose, le Ministère en charge de la microfinance existait déjà. La nouveauté c’est son articulation avec l’économie et sociale et solidaire. Il s’agit pour nous d’un signal fort des autorités au plus haut niveau pour donner plus de cohérence et de dynamisme au secteur. Il reste alors au Ministère et à nous autres acteurs du secteur de conjuguer nos efforts pour construire un système financier inclusif donc accessible à tous.
Quelles problématiques souhaiteriez-vous que le nouveau ministre aborde d’emblée ?
D’abord permettez-moi, à travers votre tribune, d’adresser, à nouveau, à Monsieur le Ministre Moustapha Diop, mes félicitations. Et nous lui réitérons notre disponibilité à accompagner les politiques qu’il lui conviendra de mettre en œuvre pour le développement du secteur.
L’une des problématiques majeures que nous devons prendre en charge est l’accès des SFD à la ressource. C’est, en quelque sorte, une denrée de 1ière nécessité pour nous. Nous autres, systèmes financiers décentralisés de type mutualiste, ne sommes pas adossés à des multinationales pour faire drainer des ressources d’ailleurs pour financer nos actifs productifs. Nous comptons généralement sur l’épargne que nous mobilisons, parfois à des coûts élevés. Et cette épargne n’est pas stable pour nous permettre de financer des emplois à moyen et long termes. C’est pourquoi, il serait pertinent d’envisager des mécanismes qui faciliteraient l’accès à des ressources stables et suffisantes pour nous permettre d’allouer des crédits à moindre coût, à moyen et long termes. C’est comme ça que nous pensons pouvoir participer plus efficacement au financement de notre économie et par ricochet garantir la viabilité de nos Institutions.
Aussi, attendons-nous de ce Ministère, tout le plaidoyer sur les questions fiscales, d’accès aux moyens de paiement et aux infrastructures technologiques, notamment l’acquisition des plateformes et serveurs, des investissements qui coûtent très chers. On devrait pouvoir imaginer des modalités d’acquisition incitatives qui permettraient aux entités comme les nôtres, de s’équiper davantage et cela va renforcer notre compétitivité et notre productivité. De telles mesures incitatives auraient comme effet, une vraie baisse des taux.
En même temps, nous sommes prêts à accompagner le Ministre parce qu’attendre de lui, c’est bien ; mais réfléchir en quoi nous pouvons lui être utile pour qu’il mène à bien sa mission, c’est encore mieux. Sous ce rapport, nous sommes prêts à participer à tous ses chantiers pour lui apporter notre modeste expérience, tant dans la définition de la Lettre de politique sectorielle de la Microfinance, que celle des programmes spécifiques visant notamment les jeunes et les femmes.
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