Afin d’encourager l’investissement, le Sénégal a signé avec différents pays des Accords Bilatéraux d’Investissement (ABI).
Ces accords visent la protection et la promotion des investissements. Dans la pratique, les investisseurs jouissent d’avantages et d’une protection qui pourraient porter atteinte à la souveraineté de l’Etat du Sénégal. Il est de ce fait légitime de se demander si le Sénégal ne protège pas trop les investisseurs étrangers à travers les ABI. Afin de régir la protection des avoirs étrangers, le Sénégal a recours aux Accords Bilatéraux d’Investissements (ABI). Ces accords établis entre deux Etats sont, dans la théorie, réciproques et visent la promotion et la protection des investissements des ressortissants d’un des pays contractant sur le territoire de l’autre pays contractant de l’accord. Ceci tend à sécuriser l’environnement des affaires de notre pays, augmenter la confiance des ressortissants des pays avec lesquels on contracte ces ABI, et aussi protéger nos investisseurs dans ces dits pays.
Le Sénégal a signé 26* ABI dont 10 sont en vigueur (voir le tableau ci-dessous), et on peut les retrouver sous les vocables d’ « accord d’encouragement et de protection des investissements » ou encore d’ « accord de promotion et de protection des investissements ». Ces différents ABI sont pour l’essentiel axés sur la protection des investissements, sans effet réel sur la promotion.
Les ABI du Sénégal en vigueur
Ausi, les obligations relatives au traitement postulent-elles que le Sénégal ne peut accorder à l’investisseur un traitement moins favorable que celui accordé aux autres investisseurs étrangers. De même, l’investisseur devra bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux nationaux. Ces obligations résultent respectivement de la transcription des principes de la nation la plus favorisée et du traitement national.Ainsi, il ressort des ABI du Sénégal la reconnaissance du principe du traitement juste et équitable de l’investisseur. Ce principe reste abstrait et les tentatives tendant à clarifier son contenu sont relativement rares. Toutefois, il est possible d’affirmer « qu’il s’agit d‘un étalon de mesure plus que d’une règle matérielle de droit ». En effet, selon une interprétation attachée au sens littéral des termes, il s’agit de traiter l’investisseur selon les règles de droit internes et internationales. L’Etat devra garantir à l’investisseur le traitement équivalent au « standard minimum » garanti par le droit. Le caractère imprécis de ce concept fait qu’il est difficile d’en mesurer les effets.
*Nous nous sommes aperçus au cours de nos recherches, qu’il y avait des ABI du Sénégal avec les Emirats Arabes Unis, ou encore avec la France, mais ces accords ne font pas l’objet de publication et ne sont pas répertoriés par la CNUCED. De ce fait, ne pouvant avoir accès à ces ABI, nous nous sommes limités à l’analyse des ABI figurant dans la base de données de la CNUCED à ce jour.
Dans la même logique, l’expropriation est fortement encadrée. Dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’investisseur est assuré que l’indemnisation sera immédiate et effective. Il en va de même des autres garanties dont jouit l’investisseur tel que la règle du libre transfert des fonds, la règle prohibant la prescription de résultat.
* Il existe une controverse dans les effets de l’expropriation ou de la nationalisation. Si pour certains il s’agit de la même procédure ; d’autres stipulent que dans le cas de l’expropriation il s’agit d’une relation directe entre l’Etat et l’investisseur, tandis que dans le cas d’une nationalisation on a recours aux accords intergouvernementaux.
Ainsi, il apparait que l’investisseur étranger bénéficie de l’assurance d’une sécurité tant au niveau de ses biens que du traitement dont il bénéficie.
Dès lors, on pourrait se demander au vu de la protection dont jouit l’investisseur, si l’Etat dispose vraiment d’une marge de manœuvre.
Ces accords sont en effet peu flexibles et laissent à l’Etat peu de latitude quant à la prise de certaines décisions qui pourraient affecter le statut des investisseurs. L’Etat se trouve dans une position où lorsqu’il prend des décisions de politique publique il est susceptible de faire l’objet d’un arbitrage. De fait, même lorsqu’il ne prend aucune décision ce risque d’arbitrage demeure.
En effet, les investisseurs étrangers ont la possibilité de saisir le Centre International pour la Résolution de Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) en cas de conflit avec l’Etat hôte. Ce dernier peut être contraint de payer des compensations même si les mesures prises étaient légitimes. Le Sénégal a été attrait à différentes occasions devant le CIRDI, notamment dans les affaires suivantes :
- l’affaire de la Société Ouest Africaine des Bétons Industriels (SOABI), où cette dernière voulait la réparation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi du fait de la rupture par le Gouvernement sénégalais d’un contrat de construction de logements sociaux ;
- l’affaire Millicom, où il s’agissait de la remise en cause par l’Etat du Sénégal de la licence d’exploitation du réseau mobile. L’Etat du Sénégal prétendait que la somme (50 millions FCFA) dont s’était acquittée MILLICOM ne représentait pas la valeur réelle de la licence.
Ces règles que doivent respecter l’Etat font donc l’objet d’une interprétation par le CIRDI et la liberté normative peut en être largement affectée. La déduction qui s’impose est que dans les ABI, l’Etat contracte des engagements qui pourraient porter gravement atteinte à sa souveraineté, de ce fait, il est contraint d’agir de manière à ne pas engager sa responsabilité internationale.
Afin de mieux aider les Etats à négocier et à réviser leurs ABI, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) développe un modèle d’accord bilatéral que des pays comme le Sénégal pourraient utiliser. Ce type d’accord permettrait plus de flexibilité dans la prise de décisions, surtout pour les domaines relatifs à l’environnement ou à la santé publique.
L’accord modèle propose, dans un premier temps, une définition beaucoup plus limitée de l’investissement. En effet, suivant les différents ABI du Sénégal, les investissements sont définis comme étant « toutes catégories de biens, y compris toutes les catégories de droits et d’intérêts ». Cette définition est trop large et prend en compte le « portfolio Investment » ou investissement de portefeuille. Par exemple, un touriste possédant des villas au Sénégal est, conformément à la définition de l’investissement adoptée, considéré comme un investisseur, et pourrait donc profiter de la protection (si l’Etat dont il est ressortissant a signé un ABI avec le Sénégal). Une révision de cette définition de l’investissement permettrait de ne plus prendre en compte ce type d’investisseur et de limiter les possibilités d’engager des poursuites contre l’Etat.
Cet accord modèle essaie également de revoir et de mieux encadrer le traitement juste et équitable car cette notion reste ambiguë. Le concept est vague et est très populaire dans les pays développés qui l’utilisent généralement afin de se protéger contre toutes sortes de mesures.
Dès lors, le nouvel type d’ABI devrait contenir des dispositions relatives à la protection de l’environnement et de la santé publique. De même, les obligations ne devront plus seulement peser sur le pays hôte, mais aussi sur le pays d’origine de l’investisseur. Ces pays devront encourager leurs ressortissants à investir dans le pays signataire pour que l’accord puisse avoir un impact sur le flux des investissements.
En définitive, signer un ABI n’a pas nécessairement pour effet d’attirer les investissements. Ce qui est sûr c’est que cela engendre une protection des investissements étrangers qui n’auront pas forcément un impact positif réel sur l’économie sénégalaise.
Par ailleurs, les pays partis aux accords d’investissement se trouvent à des niveaux différents de développement. Si pour les pays développés l’objectif est de protéger au maximum leurs ressortissants, pour les pays sous-développés comme le Sénégal, l’objectif devrait être de faire en sorte que ces accords soient suffisamment souples. Ceci permettrait à l’Etat d’acquérir une marge de manœuvre lui permettant non seulement de favoriser l’investissement, mais également son développement et sa croissance économique. De même, la notion de développement durable devrait plus être prise en compte dans les ABI afin d’instaurer une politique d’investissement socialement responsable.
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