Des grandes lignes de l’exercice 2013 à l’arrivée de Wafa Assurance sur le marché sénégalais, en passant par les perspectives dans la sous-région, M. Abdelkrim Raghni aborde, avec REUSSIR, les questions brûlantes de l’heure et du secteur. Sans détours et sans langue de bois.
Pouvez-vous revenir sur les faits marquants de votre exercice 2013 ?
Notre exercice 2013 s’est réalisé dans de bonnes conditions. Il a confirmé la démarche de la CBAO dans le cadre de la consolidation de son processus de développement lancé depuis 2009. Un exercice caractérisé par l’amélioration sensible de tous les fondamentaux de la banque, notamment par une hausse du produit net bancaire, tout en maitrisant les dépenses et en accélérant nos projets de développement qui portent sur la diversification, l’élargissement du réseau, l’extension des succursales internationales et la maitrise de risques.
Quelles ont été les innovations-phares ?
Il y a d’abord le lancement de la carte Kalpé dont l’objectif est de contribuer à l’effort de la Banque Centrale qui a lancé une campagne de vulgarisation et d’ouverture du secteur bancaire à tous les citoyens de la région. D’ailleurs, l’acquisition de la carte Kalpé, qui ne nécessite pas l’existence d’un compte bancaire, a permis de capter un grand nombre de citoyens pouvant désormais disposer d’un outil de paiement, de transfert et d’accès à leurs liquidités en toute sécurité et sans le formalisme des produits bancaires classiques. Notre but, c’est la mise en œuvre d’un dispositif de crédit rapide. Nous avons aussi lancé le crédit à la consommation dans un délai de 48h qui a été consolidé au cours de l’année 2014. Nous sommes aussi sur des projets de développement du réseau avec 6 nouvelles agences au Sénégal et une succursale au Niger.
Alors, comment la succursale du Burkina se porte-t-elle ?
C’est une succursale qui se développe très bien parce qu’elle a déjà bien assis sa notoriété sur la place, dans une première phase. Jusqu’à présent, nous avons travaillé avec une seule agence et visé essentiellement la clientèle corporate. La succursale a joué son rôle puisque lancée en février 2011, elle a enregistré son 1ier bénéfice au terme de l’exercice 2012 et aujourd’hui, elle continue d’évoluer avec un résultat positif. Elle est en train d’élargir son réseau avec 4 nouveaux points de vente d’ici fin 2014. La succursale commence à prendre son rythme de croisière.
Pour le Niger, l’ouverture est récente mais déjà, cette succursale a apporté du sang neuf, notamment dans la monétique et le corporate. Je pense que l’exercice 2014 verra un développement plus rapide de cette succursale puisque nous allons tirer profit du modèle du Burkina.
L’implantation au Bénin n’a-t-elle pas accusé un retard ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de retard, parce que nous avons obtenu l’agrément en décembre 2013. Vous savez bien qu’ouvrir une succursale nécessite de nombreuses étapes comme la mise en place des dispositifs technique et comptable, le choix des locaux, l’investissement pour aménager les locaux, le recrutement du personnel… Sur tout cela, je pense qu’on est bien dans les délais et qu’on ne puisse pas parler de retard…
Au niveau du groupe, a-t-il été décidé de confier l’expansion dans les pays de l’UEMOA à CBAO ?
La politique est très claire à ce niveau. Nous avons des présences, pilotées directement par le groupe dans les pays où nous avons acquis des filiales. Dans les pays où nous n’en avons pas, il est plus indiqué que ce soit la CBAO qui implante des succursales. C’est le modèle privilégié. Maintenant, personne ne peut prévoir ce qui va se passer dans l’avenir. La politique sera adaptée en fonction des circonstances et des opportunités qui se présenteront.
Comment s’est présenté le 1ier semestre 2014 ?
Le 1ier semestre 2014 s’inscrit dans la continuité de l’exercice 2013. Nous avons bouclé 2013 avec non seulement de bons résultats d’exploitation, mais surtout avec une très belle structure de bilan. Ceci nous a permis d’entamer 2014 avec d’excellentes perspectives. Nous avons continué le développement du Produit net bancaire avec une croissance de l’ordre de 10%. Mais, nous continuons de regarder la qualité de notre risque en dotant convenablement nos provisions. Notre développement se poursuit sur un rythme relativement intéressant…
CBAO est pionnière et leader dans la monétique, un produit de luxe au départ. Aujourd’hui, avec la démocratisation, c’est plus un produit d’appel pour attirer davantage de clientèle. On parle aussi d’inclusion financière et de bancarisation. Qu’en pensez-vous ?
Certainement, la monétique n’est plus un produit de luxe. Elle offre des opportunités extraordinaires dans le sens de la bancarisation des citoyens parce qu’aujourd’hui l’accès et le niveau de l’investissement n’est plus aussi cher qu’avant. Ensuite, la monétique, étant basée sur des supports de transport virtuel de l’information, ne nécessite pas des investissements matériels très lourds comme c’était le cas avant en termes de réseau, de documentation, etc. A mon avis, la monétique répond parfaitement aux attentes de nos citoyens et je suis étonné de voir comment Internet est en train de pénétrer notre environnement. Grâce à Internet, on peut commercialiser des produits à haute valeur ajoutée auprès de populations qui ne sont pas forcément à un niveau de formalisation élevée. La monétique est très utile dans le développement de la banque de demain et aussi, les supports technologiques vont être de véritables moyens de développement de la banque en Afrique.
Quid du mobile-banking ?
Il fait partie de cet arsenal en devenir. Aujourd’hui, vous avez plusieurs types de monnaie, de circuits de distribution et plusieurs opérateurs interviennent dans la transformation de ces moyens. Mais, je reste persuadé qu’aujourd’hui, la bancarisation en Afrique est beaucoup plus basée sur les transferts et les mouvements d’argent que sur les stocks en termes de dépôts. L’épargne, malheureusement, ne se développe pas au rythme qu’on aurait souhaité pour accompagner le financement de l’économie nationale. Donc, c’est beaucoup plus des artifices de transfert que des artifices d’épargne ou de développement du financement de l’économie.
Quel est le regard du banquier sur la montée exponentielle des services de transfert d’argent, ces derniers temps ?
C’est heureux que les citoyens puissent échanger, facilement, de l’argent entre eux. D’ailleurs, historiquement, la banque est arrivée en Afrique grâce au transfert d’argent et non grâce à l’épargne ou au crédit. Comme c’est le cas dans d’autres pays où on a eu des caisses d’épargne ou de crédit à la base. Ici, on a eu beaucoup de sociétés de transfert, les premiers à offrir leurs services aux citoyens, même dans les contrées éloignées. Il est souhaitable, à partir de maintenant, que ces transferts prennent des formes plus diverses et variées, qu’on passe au stade suivant afin qu’une partie soit orientée vers l’épargne et le financement de l’économie.
Votre opinion sur la mesure de la BCEAO rendant gratuits certains services bancaires ?
Nous nous inscrivons dans la stratégie de captation du maximum des citoyens et nous souhaitons que ces mesures donnent leurs fruits très rapidement sur le taux de bancarisation. Ce sont des mesures nécessaires, mais pas suffisantes. En plus, il faut créer nombre de produits attrayants pour les citoyens, comme la distribution de crédits au logement, l’amélioration de la qualité des crédits à la consommation. Donc, si demain, nous arrivons à accompagner un certain nombre de financement et d’acquisition de logement, alors là, ces catégories seront attirées par la banque et augmenteront le volume des transactions destinées aux populations les plus larges.
Où en est le projet de centrale des risques de la BCEAO afin de maitriser davantage l’information, notamment sur les clients indélicats ?
La Banque Centrale est en train de mener un certain nombre de projets pour la structuration du secteur financier et bancaire de la région. Ce projet de Crédit-Bureau permettra d’avoir un dispositif géré pour le compte de la communauté financière et fournissant des informations utiles et nécessaires à la bonne prise de décision. C’est un projet très important et nous souhaitons qu’il soit réalisé dans les meilleurs délais. En plus, la BCEAO a exprimé clairement sa décision d’aller vers les dispositifs de Bâle 2 et 3. A travers ces dispositifs, il y a des prérequis en termes de notation et de cotation d’entreprises. Donc, c’est un projet structurant qui permettra de coter les entreprises par des tiers indépendants et à travers laquelle, on aura accès à une meilleure information et une meilleure qualité pour le risque du secteur bancaire…
Vous êtes aussi pionnier et leader des banques marocaines au Sénégal. Ces dernières années, on a constaté une explosion de l’implantation des entreprises marocaines au Sénégal. Quelle est votre appréciation sur cette intensification des relations économiques entre les deux pays ?
L’arrivée des banques marocaines répond à un besoin de développement Sud-Sud, auquel le Maroc souscrit pleinement. Le Sénégal n’est pas la seule destination, elle couvre aussi d’autres pays du continent tels que la Côte d’Ivoire, la RDC, le Gabon, le Mali…
Je tiens à rappeler que le Maroc et le Sénégal sont deux peuples frères fortement liés par l’histoire. Les relations économiques qui s’intensifient viennent renforcer ce lien.
Parlez-nous de l’actualité du Groupe Attijariwafa Bank?
Le Groupe continue sa dynamique le positionnant comme une banque panafricaine qui dispose d’importantes implantations à travers le monde.
Le Groupe maintient ses efforts de diversification de ses partenariats avec différentes institutions internationales pour consolider son rôle d’intermédiaire bancaire entre l’Afrique et le monde. A titre d’exemple, sur les récentes alliances, on peut citer : d’abord, un nouveau mémorandum d’entente avec les partenaires américains Overseas Private Investement Corporation (OPIC) & Wells Fargo qui vise à contribuer à la dynamique des échanges commerciaux et des investissements entre l’Afrique et les États-Unis. Ensuite, un accord avec SBERBANK, la plus grande banque en Russie et en Europe de l’Est et la 3ème en Europe, par lequel les deux groupes s’engagent à développer leur coopération dans leurs pays de présence respectifs, dans différents domaines.
Enfin, la signature d’un accord stratégique avec la Bank of China pour promouvoir et développer les échanges commerciaux et les investissements entre les pays africains, où Attijariwafa Bank est présente, et la Chine.
Un mot sur vos perspectives ?
Nous avons des perspectives très ambitieuses. Aujourd’hui, CBAO est en train de développer sa présence au Sénégal et dans la région. Nous nous apprêtons à diversifier nos produits grâce au développement des produits d’assurance qui vont être bientôt mis en œuvre par notre sœur Wafa Assurance au Sénégal et après, dans la sous-région. Tout ceci entre dans l’esprit d’accompagnement du financement des citoyens. Nous sommes très attentifs aux réalisations du PSE. Nous estimons que c’est un projet structurant et porteur de développement de la région. Nous l’accompagnons dans tous les secteurs. Que ce soit le crédit, la consommation, le crédit-logement, le crédit-bail, la PME… Tous ces secteurs attendent l’arrivée du secteur bancaire et nous nous y préparons. Pour cela, nous menons une politique équilibrée en termes de gestion de risque de manière à ce que nous soyons au rendez-vous.
Comment comptez-vous défendre votre leadership sur le marché ?
Votre question suggère que nous sommes déjà leader sur le marché. Mais au risque de vous étonner, cela compte peu à mes yeux et la course à la taille, à n’importe quel prix, ne fait pas partie de nos ambitions.
En effet, la performance d’une banque se mesure, d’une part, par la qualité et la diversification de son portefeuille et des risques qui en découlent, et d’autre part, par la taille de ses fonds propres qui sous-tendent son activité. Au final, ce qui compte, c’est la capacité d’accompagner tous les besoins du marché et de disposer d’une expertise avérée de gestion du risque et du recouvrement. La banque ne se résume pas à donner des crédits, elle doit surtout veiller à les recouvrer dans de bonnes conditions.
Alors, comment les banques marocaines se comportent entre elles ? Concurrence ou entente ?
Ces banques ont des capitaux d’origine marocaine mais elles opèrent sur le marché régional de la même manière que les autres établissements. Cette activité est soumise à la supervision des autorités monétaires qui veillent à proscrire tout accord ou concertation qui romprait les règles d’une compétition saine entre les intervenants.
On dit que les banques marocaines sont là pour financer l’implantation des entreprises marocaines…
Le rôle d’une banque est de financer le développement de l’économie. Vous voyez bien votre question serait réductrice de nos ambitions. Nous sommes là pour tous les opérateurs et le critère de leur nationalité n’est pas d’actualité.
Quel message d’assurance pouvez-vous donner aux assureurs sénégalais qui disent que c’est le «néocolonialisme marocain» avec Wafa Assurances qui est 3 fois plus grand que tout le marché sénégalais ?
Wafa Assurances dont vous parlez, opère au Maroc, nous n’allons pas la délocaliser au Sénégal. Les produits de Wafa Assurances seront soumis à la compétition locale. Nous souhaitons que Wafa Assurances apporte du neuf au citoyen sénégalais.
Mais aujourd’hui, il faut constater que l’équipement en assurance du citoyen est relativement faible. Si Wafa Assurances peut permettre l’accès à l’assurance aux catégories sociales les plus faibles, alors tant mieux pour elles.
Donc, il n’y a pas à s’inquiéter…
Au contraire, nous espérons que Wafa Assurances contribuera au développement du taux de pénétration de l’assurance dans l’économie sénégalaise.
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