Actuaire et patron de CISCO Consulting, Abdou Cissé est un observateur averti des interactions entre les mondes de la Finance et des Assurances. Il procède à une analyse fine du rôle et de la place de l’Assurance dans le système financier mondial en Afrique en particulier. Il propose un système bancaire africain à base d’assurance, donc de solidarité, pour intégrer le secteur productif informel.
Les turbulences financières n’ont pas encore fini de secouer le monde, l’Afrique en particulier. Vous avez toujours défendu la place de l’assurance dans les systèmes financiers, notamment pour l’Afrique. Comment situez-vous la pratique de l’assurance dans le contexte financier actuel ?
L’assurance est la seule discipline règlementée qui offre des solutions de couverture à un agent économique. Seulement, à chaque fois que les acteurs financiers mondiaux ont eu besoin de couverture par rapport à des positions prises sur les marchés, ils ont utilisé des instruments baptisés produits financiers dérivés qui, en réalité, sont des produits d’assurance. Tout produit financier dérivé (complexe ou non) matérialise exactement un contrat d’assurance et ceux qui les commercialisent méritent d’être soumis à une règlementation assurancielle à travers une autorité de contrôle. Mais, ces acteurs pratiquent le métier selon leur propre conception de l’assurance, échanger (vendre et acheter) des contrats d’assurance sans provisionner le risque associé.
Cette absence de règlementation assurancielle dans l’organisation des marchés financiers est une des causes de la crise boursière de 2008, donnant naissance à une crise bancaire qui s’est emballée en crise économique et puis de la dette souveraine des pays occidentaux. Ces produits dérivés sont échangés sur les marchés financiers non règlementés qui, de plus, évoluent en obéissant toujours à une loi qui les domine, la loi du hasard… Cette loi du hasard ayant, au final, entrainé ces acteurs de la finance vers la loi du profit à tout prix.
En effet, pour apporter des solutions à leurs besoins de couverture, les financiers ont cherché à modéliser le hasard en s’appuyant sur la théorie mathématique. Ils ont compris aujourd’hui qu’il n’est pas possible de modéliser le hasard, mais il est plutôt possible de contrôler ses conséquences. Et l’assurance est la seule discipline qui offre cette possibilité.
Quelques exemples concrets illustrant que le métier d’assurance n’est pas correctement pratiqué dans les marchés financiers ?
Pour mettre en pratique une discipline, il nécessaire de maîtriser ses concepts de base. Les acteurs des marchés ont certainement compris le mécanisme du métier de l’assurance, sans en avoir la maîtrise et sans subir les contraintes d’une autorité compétente.
Nous sommes tous d’accord qu’il est impossible de commercialiser des produits d’assurance en zone CIMA sans être contrôlé par cette autorité (et sanctionné en cas de déficit de couverture de ses engagements ou d’insuffisance de marge de solvabilité). Le problème réel de la crise financière de 2008 se situe au niveau de l’absence de provisionnement de l’ensemble des émetteurs de CDS (Crédit Default Swap ou encore couverture pour défaut de crédit).
Pour illustrer le déficit de maîtrise de l’assurance dans l’environnement financier, prenons un passage du livre de Blythe Masters (Trader chez JP Morgan, considérée aux Etats Unis comme la créatrice des CDS). Ce livre, écrit par Jovanic et préfacé par Georges Soros dit : «les CDS sont des instruments destructeurs qui doivent être interdits. Cela revient à assurer votre voisin sur la mort et ensuite le tuer pour toucher la prime…).
Si les incohérences de cette phrase ont pu échapper à ces trois acteurs du monde financier, on peut considérer que le métier d’assurance n’est pas maîtrisé dans les marchés.
Pour les défaillances du contrôle, rappelons qu’avant novembre 2011, il était possible d’acheter une couverture sur la dette de la Grèce (CDS) sans détenir de titres obligataires associés. C’est équivalent à souscrire un contrat d’assurance relativement à un risque auquel l’assuré n’est pas exposé ; d’où la spéculation.
Face à cette situation, quelle doit être la position des Africains ?
Motivés par leurs cultures et leurs intérêts, les hommes sont à l’origine des décisions dans le monde. Les clans, dominant toujours l’univers économique, ont compris que via un système financier, il est possible d’imposer un modèle de société. C’est une des raisons pour lesquelles les Africains ont toujours été spectateurs dans ce monde complexe. Un monde où tout est faux, par référence aux dérives de la finance internationale. Le scandale des taux d’intérêt (LIBOR, PIBOR…) est la preuve tangible que les prix des matières premières, payés chaque jour par les Africains sont faux. En effet, les taux interbancaires publiés en Bourse sont manipulés par les banques européennes pour conforter les positions de leurs traders. Or, ces taux influent sur la fixation des prix des matières premières.
A qui faire confiance dans ce monde où, depuis la fin des accords de Bretton Woods, il n’existe plus d’ordre monétaire international ? Ce monde a pris conscience aujourd’hui que la valeur ajoutée à venir se trouve en Afrique. Dans ce contexte, nos pays doivent choisir leurs modèles (financier, économique, modèle de société). Ce choix de modèles, ne pouvant être déconnecté de nos réalités culturelles, et s’inspirant des enseignements tirés de la crise financière internationale, l’assurance reste le seul vecteur d’orientation de nos futurs projets africains, par sa double capacité à rassembler pour partager, et partager pour progresser.
Dans ce contexte mondial, quel est le modèle financier qui vous semble adapté aux réalités africaines ?
Le modèle que je préconise pour l’Afrique aura pour base l’Assurance. En effet, au cœur d’un système financier, on retrouve toujours des banques dont le métier consiste à emprunter dans le court terme et prêter sur le long terme, en vivant du différentiel des taux d’intérêt (long et court). Depuis le début des inversions de courbe des taux d’intérêt en Occident, cette pratique n’est plus viable dans le contexte africain d’aujourd’hui, du fait de son manque d’humanisme et de solidarité. Un système financier n’a de sens que s’il accompagne l’économie. Or, nos économies africaines étant informelles à 70%, elles doivent trouver un système financier adéquat. Bancariser tout l’informel reste un projet animé par une solidarité africaine. Or le seul métier financier, qui a pour base la solidarité, se trouve être l’Assurance.
L’Afrique doit mettre en place des systèmes bancaires à base d’assurance, c’est-à-dire permettre l’ouverture de comptes bancaires conditionnés par la souscription de contrats d’assurance relatifs à ses activités économiques.
Vous préconisez donc une accélération du développement de l’assurance en Afrique ? Qui voyez-vous comme acteurs principaux ? Les Assureurs ? Les Etats ?
Lorsqu’un projet est dans l’intérêt des populations, il doit être porté par les Etats dans le cadre d’une politique économique globale. Les Etats doivent prendre conscience que l’assurance est un vecteur de développement. Prenons l’exemple de la Couverture Maladie au Sénégal ; le projet ne recouvre aujourd’hui qu’une dimension médicale alors qu’une Couverture Maladie Universelle est un régime. Ce qui sous-entend une dimension assurancielle d’une importance capitale. Il est nécessaire d’y associer les assureurs nationaux. Il faut impérativement que les acteurs de ce projet se fassent accompagner par des professionnels de la gestion de régimes, en l’occurrence des cabinets d’actuariat.
Le Plan Sénégal Emergent est un 2ème exemple car la dimension assurancielle de ce projet ne semble pas être déclinée. Il est souhaitable que les assureurs locaux soit associés à ce projet.
Que pensez-vous de l’arrivée de grands groupes comme Wafa sur le marché sénégalais ?
Rappelons que les banques et les assurances sont au cœur d’un système financier.
Attention ! Le système bancaire du Sénégal est déjà dominé par des groupes étrangers. Attention à une ouverture en continu du marché de l’Assurance car un Etat ne peut pas contrôler son système économique sans avoir la main sur son système financier. S’il n’est pas possible de freiner cette ouverture, alors il faudra des assureurs locaux très soudés pour faire l’objet de grands groupes d’assurance locaux….
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