Réussir Business : Dans beaucoup de zones d’exploitation pétrolière et gazière, les populations nourrissent des craintes par rapport aux impacts négatifs que pourraient engendrer l’extraction de ces ressources naturelles offshores. Comment appréhender-vous la problématique ?
Mme Mme Aïssatou Fall Ndoye Gueye : Les ressources pétrolières et gazières découvertes dans notre zone économique exclusive, ZEE et parfois dans la zone transfrontalière avec des ZEE voisines comme la Mauritanie, la Gambie et la Guinée Bissau peuvent, si elles sont bien gérées, accélérer la croissance économique.
Cependant, les activités d’exploitation de ces ressources présentent de grands défis à relever en matière de gouvernance, de technologie et de mesures environnementales et sociales, pour assurer une croissance inclusive permettant de réduire la pauvreté dans l’ensemble du pays. La coexistence entre le secteur des hydrocarbures offshores et celui de la pêche suscite à la fois des appréhensions pour les acteurs de la pêche notamment les pêcheurs et de grands espoirs, aussi bien auprès des communautés côtières que des autorités sénégalaises.
Quels impacts négatifs possibles sur les activités des pêcheurs et autres acteurs évoluant en mer ?
Les Impacts potentiels de l’exploration, l’exploitation et le transport des hydrocarbures sur la pêche sont de deux niveaux, premièrement sur l’environnement marin et deuxièmement sur l’activité de pêche. Le développement de l’industrie pétrolière offshore mérite beaucoup d’attention car s’accompagne, souvent, de risques importants. Des accidents sur des plateformes pétrolières et d’autres infrastructures, pipelines ou bateaux abritant des citernes, ont provoqué des marées noires qui ont endommagé des écosystèmes marins et qui ont eu un effet négatif sur la pêche (Fall, 2015). Nous avons en mémoire l’explosion de la plateforme du forage « Deepwater Horizon » dans le Golfe du Mexique. Cet accident a causé la plus grande marée noire de toute l’histoire. La plateforme forait un puits exploratoire à une profondeur de 1.700 m et venait de découvrir un réservoir considérable de pétrole et de gaz à 4.000 m en dessous des fonds marins.
Par ailleurs, les opérations routinières telles que les explorations (études sismiques) ou encore des forages ainsi que la production (boues, eaux de production) affectent de façon chronique l’environnement marin (bruits, déchargement déchets, lumières …).
Ceci est d’autant plus grave au Sénégal, que dans la plupart des zones où du pétrole et/ou du gaz ont été découverts, se trouvent en zone côtière, des habitats critiques d’importance nationale, sous régionale et même mondiale pour le maintien de la biodiversité et la productivité des pêcheries : mangrove, herbiers, aires de cogestion locale comme les zones de pêche protégées, les zones de pêche aménagées et les zones d’immersion de récifs artificiels, les nurseries, les aires marines protégées. Il faut y ajouter la circulation des masses d’eau qui favorise le transfert de la pollution vers d’autres zones avoisines. Des impacts sur la pêche et les ressources halieutiques sénégalaises peuvent être identifiés à différentes phases ou évènements de l’exploration, de l’exploitation des hydrocarbures et du démantèlement des infrastructures.
Les activités sismiques liées à l’exploration peuvent entrainer de fortes mortalités chez les poissons, qui sont particulièrement sensibles durant leur migration et pendant la reproduction. Pour les individus qui sont à une faible distance, elles entraînent des hémorragies cérébrales et affectent le système auditif. Elles sont également à l’origine de la mort des alevins. Pour les poissons qui se situent dans des zones éloignées (50 à 100 km) nous assistons à des changements de comportement, une diminution des biomasses dans les eaux peu profondes.
Durant la phase de construction des infrastructures et de l’exploitation, du fait des zones d’exclusion (environ 500 m de toute infrastructure), il y aura des zones de pêche qui seront perdues pour les pêcheurs comme l’exemple de ‘’Diatara ‘’ à Saint-Louis. Les boues provenant du forage des puits affectent la turbidité du milieu marin ont un impact négatif sur les organismes filtreurs comme les mollusques.
Le fait le plus inquiétant est lié au comportement de certains pêcheurs sénégalais, qui ne sont pas toujours respectueux de la réglementation, ceci d’autant plus que, les infrastructures en mer fonctionnent comme des dispositifs de concentration de poissons (DCP), qui risquent de les attirer. Les pêcheurs, malgré l’interdiction, si une bonne sensibilisation et de sérieuses mesures de surveillance ne sont pas prises, vont s’introduire dans ces zones interdites pour pêcher au détriment de la sécurité. Lors d’évènements accidentels, tels que les explosions, la déficience des plateformes ou la collision de navires avec les pipelines ou d’autres bateaux, la pêche peut subir d’énormes dommages comme nous l’apprend l’histoire. Le transport des hydrocarbures et le bruit à la fois des navires et des plateformes peuvent également avoir des impacts sur les espèces migratrices in fine sur la pêche.
Comment procéder selon vous pour une bonne cohabitation des deux secteurs : Pêche et Industrie pétrolière offshore ?
Il est important que le Gouvernement du Sénégal mette en place une bonne gouvernance environnementale de l’exploitation des hydrocarbures, afin d’éviter un effondrement du secteur de la pêche qui débarque plus de 400000 tonnes par an pour une valeur commerciale estimé en moyenne 200 milliards contribuant à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et au développement de l’économie locale.
Aussi, le gouvernement du Sénégal évitera de tomber dans le piège du « syndrome hollandais » qui correspond à un développement basé pratiquement sur l’industrie des hydrocarbures, au détriment des autres secteurs de l’économie. Le Sénégal devra utiliser la manne financière engendrée par le secteur des hydrocarbures pour mettre en place les infrastructures, les politiques et les renforcements de capacités nécessaires pour booster les autres secteurs, tels que la pêche, l’agriculture, l’élevage, l’industrie, la biodiversité…
Que doit faire l’Etat pour rassurer les populations riveraines aux zones d’exploitation.
L’Etat à travers le Département des Pêches s’inscrit dans une dynamique d’adopter un plan qui vise à mettre en place les mesures, mécanismes et politiques qui permettront une cohabitation pacifique, productive et mutuellement bénéfique pour les secteurs de la pêche et des hydrocarbures offshores. L’objectif est d’élaborer, de manière participative et inclusive, un Projet visant à assurer une coexistence pacifique, productive et mutuellement bénéfique des secteurs de la pêche et des hydrocarbures offshores au Sénégal.
Ce processus lancé depuis 2019 pourrait être déroulé afin d’avoir l’état des lieux de la situation de l’exploration, l’exploitation et du transport des hydrocarbures au Sénégal, l’état des lieux de la pêche au Sénégal, autrement dit une situation de référence, également une analyse du cadre juridique et institutionnel des deux secteurs (Pêche et hydrocarbure) ; Il s’y ajoute l’identification et la caractérisation des différents acteurs des deux secteurs et les contraintes , les forces , les opportunités et les menaces liées à la coexistence pacifique, productive et mutuellement bénéfique , ainsi que les besoins en matière de transfert de renforcement des capacités et de collaboration. Ceci va nous mener à identifier un plan d’action et concevoir la gouvernance du projet qui prendra en charge tous les principes de : Sensibilisation et Information, Précaution, Prévention, Gestion des risques et dangers, Contenu local, Suivi mise en œuvre des PGES issus des différentes études d’impact environnemental et social, Compensation et Indemnisation…
Quels sont les défis à relever tenant compte de toutes ces préoccupations….
Les défis à relever se résument comme suit : i) Protection des écosystèmes marins et prévenir les accidents en mer et la pollution marine, ii) Promouvoir la pêche artisanale et règlementer la pêche industrielle ; iii) Sélection suivant un consensus scientifique des indicateurs de performance (impacts sur les fonds marins, sur la qualité des eaux de mer, sur les ressources halieutiques et les autres usages de l’espace marin…) ; iv) Définition des plans de gestion et des filières opérationnelles (sécurité et pêche, traitement des déblais de forage, gestion des déchets dangereux…) ; v) Solution à la forte demande des parties prenantes pour la protection des ressources halieutiques, et une garantie de la continuité des activités de pêche ; vi) Création d’un Système intégré d’Information maritime à travers une planification spatiale maritime ; vi) Capitalisation de toutes les données des compagnies pétrolières fournies dans les rapports d’étude d‘impact environnemental et social et les corréler avec celles de notre situation de référence établie.
Il faut noter également que l’exploitation des ressources océaniques doit être soutenue par une connaissance approfondie de son environnement notamment la géomorphologie marine et la biocénose, de son écosystème, de son fonctionnement physique et biologique. La préservation des écosystèmes marins et côtiers revêt une importance stratégique de référence avec le renforcement de la coopération nationale, régionale et internationale dans la conservation et le maintien de l’intégrité physique des océans et l’utilisation durable de ses ressources (ODD 14).
Qu’en est-il avec les solutions novatrices… ?
En effet, des solutions novatrices sont saisies dans la collecte et le traitement des données et de nouvelles applications dans le cadre du réseau mondial de surveillance de l’environnement avec l’utilisation de la géo-information.
Les défis de la gestion des ressources marines et côtières étaient principalement la limite de l’accès de données continues. Avec l’engagement de la Commission marine de la CEDEAO dans la mise en œuvre à l’échelle continentale, en collaboration avec les autres organisations régionales africaines, le projet ‘’gestion des ressources marines et côtières’’ du programme ‘’Surveillance de l’Environnement et Sécurité en Afrique’’ MESA’’ de l’Union Africaine. Les objectifs poursuivis de sécurité alimentaire et de gestion durable des ressources naturelles aquatiques ont été consentis par des efforts et synergies d’actions avec les Décideurs, Chercheurs, Universitaires, Gestionnaires des pêches, Organisations socio professionnels de la pêche, Organisations sous régionales, régionales, Partenaires au Développement. Leur contribution concernait les solutions aux différentes problématiques à savoir la pression sur la ressource, la pêche illicite non déclarée et non règlementée –PINN), la pollution, les effets adverses des changements climatiques.
Le MESA (2014 – 2018) a utilisé des antennes de réception satellitaire pour accéder à ces données via la plateforme de GEONETCast et EUMETCast dans les douze pays côtiers de la CEDEAO dont le Sénégal plus la Mauritanie et Sao Tomé et Principe). 174 stations de réception de données d’observation de la Terre (OT) de dernière génération ont été installées en Afrique dont 6 au Sénégal (CSE ‘’thématique terrestre’’ – CRODT et DPM ‘’thématique marine – ANACIM – LPAO/SN et ASECNA).
Les capteurs satellitaires fournissent des données régulières et quotidiennes pour une vue globale de l’état de notre Planète. Quant à la thématique marine, trois (3) services ont été fournis : 1-Cartographie des zones potentielles de pêche superposées au trafic maritime pour une bonne gestion des pêcheries ; 2-Suivi des paramètres océanographiques physiques et biologiques ; 3-Prévision des conditions océaniques pour la sécurité des pêcheurs artisans.
Ces cartes de zones d’abondance potentielles de biocénose ou de ressources vivantes marines (ZPP ou PFZ) sont élaborées à partir d’une combinaison de plusieurs paramètres abiotiques tels que la température de surface de la mer, le courant géostrophique, la hauteur de la surface de l’océan, la salinité et la Chlorophylle a et même le rayonnement actif photosynthétique.
Le Centre de Recherches Océanographiques de Dakar Thiaroye (ISRA/CRODT) en tant que Point focal Coordonnateur National GMES And Africa (Composante marine) est en charge de la validation des cartes PFZ ou ZPP.
Dans nos zones marines difficiles à surveiller, ces produits et services innovants MESA consolidés par GMES And Africa permettent d’optimiser la surveillance de nos zones économiques exclusives (ZEEs) et des zones de pêche, avec la détection, l’identification et le tracé de tout navire de pêche suspect.
Cet ensemble de services et d’outils d’aide à la décision reposant sur l’utilisation combinée des images satellites, des données de géolocalisation et des informations météo-océaniques répond de manière la plus efficace à cet enjeu à la fois humaine, économique et environnementale qui reste en définitive l’angle d’approche pour atteindre les Objectifs de développement Durable (ODD) et en particulier l’ODD 14 : ‘’Protection des océans et préservation de ses ressources’’ et de contribuer à l’agenda 2063 de l’UA dans son objectif de booster l’économie bleue.
A présent l’Etat est à l’ère de ‘’Satellite GAINDE’’ Sénégal 2024, une opportunité réelle à saisir avec l’utilisation de données géo spatiales dans la cadre du suivi des micropolluants avec des applications disponibles et de se doter d’un laboratoire moderne équipé pour la validation des données observées.
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