Dans un pays comme le nôtre où le PIB par habitant peine à atteindre 2000 dollars annuels, vous seriez étonnés du nombre de personnes qui roulent au-dessus de leurs moyens, juste pour la frime. Et ce n’est pas juste la marque ou le gabarit de la voiture qui importe. C’est tout un package puissance-conduite-attitude qui confère ou qui est censé conférer un statut et du standing. Rouler des mécaniques au volant, toutes vitres (tintées) ouvertes pour laisser exploser décibels façon R&B ou Kizomba, (bref un truc qui tape), les lunettes de soleil vissées sur le nez de jour comme de nuit, est un must pour une pseudo-star en camouflage, fuyant des paparazzis absents. Ceci, c’est pour les moins de 30 ans. Pour les autres, on garde les mêmes attributs mais le profil est plus bas, façon kilifë**, mais non moins voyez-moi. Il est vrai qu’arriver à un rendez-vous professionnel en garant une Fiat 500 ou une Cherokee, ça ne fait pas le même effet… Tout ceci place Dakar en tête de liste pour le concours de capitale mondiale du pëndël…
Glissement de paradigme
Plus que la maison et le quartier où elle niche, plus que le compte en banque ou la fonction sur la carte de visite, c’est la voiture qui retient tous les suffrages, dans la course à la reconnaissance. Elle se doit être rouge flashy, façon Starsky et Hutch (les 90-sards, laissez tomber, vous ne pouvez pas comprendre) ou d’un sombre solennel, mais pour les couleurs hasardeuses type vert pomme ou rose bonbon, faut juste oublier. Berline ou 4×4, elle se doit aussi d’être grosse voire imposante, peu importe la densité de la circulation et les difficultés de parking en centre ville. Enfin, sur les marques, pas de faute de goût : allemandes, japonaises ou américaines. Les franchouillardes ? Très peu. Désolée pour nos cousins de l’ex-AOF qui ne juraient que par la DS. Autres époques, autres centres du monde…
Question existentielle : j’ai, donc je suis
Tout le monde peut rouler en Porsche en y mettant les moyens (qu’on a ou qu’on n’a pas). Un gros coup (foireux), un crédit sur 10 ans avec des mensualités qui étranglent et à nous le rêve… et les minettes. Par contre, il faut se résoudre à rouler sans assurance, à jouer constamment au chat et à la souris avec les flics, à mettre par 5 000F d’essence et à vivre encore longtemps à Niayes Tioker ou à Ginaaw Rail, en mangeant du sombi*** tous les soirs. Loin de moi toute stigmatisation, mais rouler des mécaniques en centre ville pour impressionner, c’est bien joli, mais il faut le porte-monnaie qui va avec…
Signe extérieur de… quoi déjà ?
A part quelques véritables golden boys ou fils/fille de… sans grand mérite propre, la majorité des aspirants qui tapent aux portes du cercle fermé des happy few pensent que l’ascenseur social se gravit au volant d’une grosse cylindrée. Pendant que les premiers qui vont griller tous les feux rouges (mais n’hésiteront pas à piler net devant une jolie fille) sans crainte de payer une amende, les seconds, après avoir sacrifié à leur rêve, conduiront lentement pour être vus, d’un seul bras (de deux doigts ?) pour prouver à quel point la direction est assistée et en regardant autant la route que les bas-côtés pour voir si on les reconnait. Pour eux, la conduite se passe autant dans l’habitacle qu’à l’extérieur, pour le «plaisir des yeux» des passants, des curieux, des voisins, des collègues qui vont, espère-t-on, baver de jalousie…
Quid de l’infrastructure ?
Dakar bat également un autre record (décidément !) : celui de la capitale de pays sous-développé où il y a plus de 4×4 au km2. Lifestyle oblige… Dans un pays à la pauvreté endémique, c’est une insulte à la décence. Et, à part sur la Corniche, la VDN ou les nouvelles autoroutes, ces bolides insolents roulent à tombeau ouvert sur des chaussées-gruyère, avec des suspensions moribondes au bout de la première année, torturées qu’elles sont par les rang-rang****. La politique du tout-infrastructure que le Super Ministère du fils le plus intelligent du Cap au Caire a mené durant la dernière décennie, aura eu pour double mérite de doter la capitale d’autoroutes (à péage) plus grandes, plus belles et mieux balisées et d’avoir créé une nouvelle classe de nouveaux riches aux rutilants bolides qui pourront, de plus en plus, emprunter… ces autoroutes.
Un psychiatre disait, un jour, que l’automobile, pour certains, est une prothèse d’identité. Si c’est vrai, beaucoup de Sénégalais devraient s’allonger sur son divan…
Notes : *M’as-tu vu | **Responsable | ***Bouillie | ****Latérite
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