Après six (6) ans de cursus scolaire, Moussa a frôlé le risque de ne pas passer l’examen de fin d’études élémentaires qui sanctionne le cycle primaire et conditionne son entrée au secondaire. Lui comme 60 000 autres élèves sans papiers d’état civil sur les 274 871 candidats en lice pour cet examen scolaire.
Toutefois, comme l’année passée, il a fallu l’intervention de l’État pour décanter cette situation. Les élèves sans papiers d’état civil ont été autorisés à se présenter aux examens, mais leurs parents devront tout de même faire le nécessaire pour les déclarer à l’état civil ‘’dans les meilleurs délais’’.
Une situation récurrente au Sénégal où l’on note un grand nombre d’enfants qui sont très souvent confrontés à des problèmes du genre pour s’inscrire à l’école ou pour composer à l’examen du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) et au concours d’entrée en sixième, faute d’enregistrement à l’état civil.
Audience foraine
Dans certaines écoles primaires, les directeurs d’écoles sont obligés d’accompagner les élèves non déclarés à l’état civil, pour qu’ils entament une procédure de jugement d’autorisation d’inscription devant un tribunal ou à l’occasion d’une audience foraine organisée très régulièrement par l’Etat. Ces élèves pourront alors bénéficier d’un jugement déclaratif de naissance et par conséquent poursuivre leurs études en toute quiétude.
Un rapport commandité en septembre 2017 par une Ong nationale, la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’école publique (COSYDEP) fait état du nombre trop élevé d’élèves qui n’ont pas d’état civil. En effet, le rapport sur ‘’la situation de l’État civil dans les établissements scolaires’’ montre que 65,56 % des élèves ne disposaient point de cet acte administratif en 2016. De manière explicite, le document affirme que, de 2014 à 2016, le taux d’enfants disposant de pièce d’état civil est passé de 35,25 % en 2014 à 36,59 % en 2015 et enfin à 37,44 % en 2016. Ce qui fait que le taux moyen d’élèves sans acte de naissance dans les seize (16) Inspections de l’Éducation et de la Formation (IEF) du pays est de 40,20 % dont 38,0 % pour les garçons et 42,0 % pour les filles.
En milieu urbain, l’on indique que le taux est plus élevé chez les filles que chez les garçons, alors qu’en zone rurale, ce taux est estimé à 52,4 % avec 51,8 % pour les garçons et 52,9 % pour les filles. Donc, le mal est plus accentué en zone rurale et particulièrement pour les filles.
Selon les statistiques de l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie datées de 2015, près d’un quart des enfants (23,8%) âgés entre 1 et 9 ans ne possède ni bulletin de naissance, ni jugement supplétif. « A un an, 25,6% des naissances n’ont pas été déclarées à l’état civil »
Solutions structurelles
Interpellé sur la question, le ministre de l’Éducation nationale, Mamadou Talla, a préconisé des « solutions structurelles’’ pour régler définitivement le problème des candidats aux examens du Certificat de fin d’études élémentaires (CFEE) et du Brevet de fin d’études moyennes (BFEM) ne disposant pas d’actes de naissance. À son avis, ‘’il faut aller […] vers des solutions structurelles pour régler définitivement le problème de l’état civil ». Il est vrai que le ministère de l’Éducation nationale trouve chaque année des solutions, mais celles-ci souffrent d’une non pérennisation.
Aussi, Talla plaide pour l’intervention des familles, des collectivités locales et des partenaires sociaux pour accompagner ces initiatives et permettre à certains élèves d’avoir des papiers d’état civil.
Face à cette lancinante problématique, les parents commencent à prendre les devants. « Tarder à déclarer son enfant à l’état civil, c’est l’exposer à rencontrer des difficultés durant son cursus scolaire », explique Ibrahima Sarr, acteur de développement dans la région de Fatick (Centre). Il dit ne pas badiner avec l’état civil de ses enfants et s’empresse de les déclarer dès leur naissance car l’Etat à tout fait pour faciliter les choses.
Il explique : « Chaque chef de village est doté d’un registre et lorsqu’un enfant nait dans le village, après une semaine, le papa à la possibilité de venir inscrire le nom de l’enfant dans le registre. A charge ensuite au chef de village de se rendre au bureau de l’état civil de la mairie de la localité pour faire la déclaration de l’enfant, moyennant une modique somme de 300 FCFA, – ++Nb – soit moins d’un dollar++ ».
En effet, une certaine négligence est observée chez bon nombre de personnes dans le monde rural qui attendent que leurs enfants accèdent aux classes de CM1 ou CM2, marquant la fin des cours dans le cycle élémentaire pour s’apercevoir que leurs progénitures ne disposent pas de bulletins de naissance, faute d’avoir été déclarés à l’etat civil.
Bon archivage
Babacar Mboup, expert en éducation et ancien directeur d’école à son avis sur le sujet. « Les chefs d’établissements scolaires doivent jouer un important rôle dans l’inscription des élèves a l’etat civil. Ils doivent s’intéresser de ces cas dès la phase d’inscription de l’élève et non pas attendre la période des examens scolaires pour s’en occuper », affirme-t-il.
À son avis, les directeurs d’écoles doivent aussi prendre les dispositions utiles pour un bon archivage des pièces d etat civil des élèves. « Au besoin ils peuvent même demander à l’élève de mémoriser les références de son bulletin de naissance et le lieu où il peut se le faire délivrer », note –t-il.
Un enfant non enregistré à sa naissance est exposé au risque de se voir refuser le droit à une identité officielle, à un nom, à une nationalité. Les enfants non enregistrés sont souvent oubliés dans les plans de développement social. Ils n’apparaissent pas dans les données officielles. Ils sont ‘’fantômes’’.
Le défaut d’inscription des enfants à l’état civil est assez paradoxal dans un pays tel que le Sénégal qui a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant le 31 juillet 1990. L’article 4 de la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) dispose que « les États parties doivent prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour assurer l’application des droits contenus dans la convention ». Il reste qu’à ce jour, de multiples défis subsistent dans l’effectivité de la protection des enfants au Sénégal.
Code de la famille
L’enregistrement à la naissance est un droit pour un enfant ; il incombe aux parents de le respecter. En effet, selon les dispositions de l’article 51 du Code de la famille, « Toute naissance doit être déclarée à l’officier de l’état civil dans le délai franc d’un mois (…) » (Extrait du Code de la famille sénégalais, Section 2, 1972).
La déclaration à la naissance doit être le fait « du père ou de la mère, d’un ascendant ou d’un proche parent, du médecin, de la sage-femme, de la matrone ou de toute autre personne ayant assisté à la naissance ou encore, (…) de la personne chez qui elle a accouché » (Article 51 du Code de la famille sénégalais). La déclaration peut également être effectuée par le délégué de quartier, le chef de village ou le procureur de la République.
Quel que soit le moment où la personne décide de déclarer l’enfant, il y a toujours une procédure aménagée à cet effet par la loi (déclaration normale, déclaration tardive ou jugement d’autorisation d’inscription à l’état civil). Malgré ces dispositions, le problème des enfants non déclarés à l’état civil persiste.
Un paradoxe au moment où le gouvernement sénégalais a fini d’initier depuis 2012, un vaste projet d’appui à la modernisation de l’état civil sénégalais (PAMEC). Ce projet a permis notamment au Sénégal de disposer, pour la première fois, d’une étude diagnostique de l’état civil : les 689 centres d’état civil du pays ont été ciblés.
Par ailleurs, l’axe 2 du Plan Sénégal Émergent PSE), le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme, appelle à « promouvoir le capital humain et élargir l’accès à la protection sociale et préserver les conditions d’un développement durable ». Dés lors, la modernisation de l’état civil est érigée en priorité nationale
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