L’autouroute Dakar Diamniadio continue de susciter des commentaires, ce depuis son ouverture. Malick Ndiaye, Docteur-Ingénieur en Economie des Transports, Ancien Directeur des Transports Terrestres du Sénégal, prend sa plume, pour un diagnostic en profondeur et sans complaisance.
L’ouverture de l’autoroute Dakar Diamniadio à la circulation automobile a donné leu à des commentaires divers, d’hommes politiques, de leaders d’opinion, d’usagers, de simples citoyens mais aussi et surtout de juristes et d’économistes. Cette diversité des réactions s’explique par le caractère transversal et pluridisciplinaire du secteur des transports qui en fait un domaine où tout le monde a son mot à dire. C’est pourquoi, j’ai jugé utile de tenter d’apporter à mon tour, même tardivement (mieux vaut tard que jamais) ma modeste contribution à ce débat pour avoir eu l’occasion en son temps, de suivre l’évolution de ce dossier en tant que Directeur des Transports Terrestres du Sénégal et Conseiller Technique au Ministère chargé de l’Equipement et des Transports.. J’espère que cette contribution apportera certains éclairages complémentaires et qu’elle aidera aussi à comprendre et faire accepter le principe du péage. Elle s’articule autour de quatre points :
Point n°1 : la vérité sur l’historique du projet par devoir de mémoire,
Point n°2 : le problème de la gratuité de l’usage de l’autoroute, de la cherté des tarifs du péage et du niveau de participation de l’opérateur privé au financement,
Point n°3 : le maintien des acquis et la réorientation du projet selon une vision nouvelle, Point n°4 l’élégance républicaine.
1. La vérité sur l’historique du projet par devoir de mémoire
En 1978, sous Senghor, une étude détaillée et complète de l’autoroute Dakar-Thiès sans péage a été réalisée par le Cabinet Electro watt (Zurich Suisse) pour le compte de la Direction des Etudes et de la Programmation du Ministère des Travaux Publics, de l’Urbanisme et des Transports.
Les dossiers d’appel d’offre correspondants à cet ambitieux projet ont été même élaborés, mais l’appel d’offre n’a pas pu être lancé à l’époque à cause d’un contexte économique national et international, particulièrement difficile.
En effet, de 1960, année de l’accession du Sénégal à l’indépendance à 1970, la situation économique et sociale du pays a été relativement florissante du fait du bon comportement de ses principaux produits d’exportation que furent l’arachide et le phosphate, tant du pont de vue de leurs volumes de production que des prix à l’exportation.
Ces périodes florissantes poussèrent les pouvoirs publics, dans l’euphorie des premières heures de l’indépendance, marquées par une volonté de créer la rupture grâce à une nouvelle réorientation de notre économie basée sur un développement endogène, à entreprendre tout naturellement de grands projets d’investissement (qui généraient au passage des charges récurrentes élevées) et à prendre également des mesures sociales pas toujours en adéquation avec les exigences d’efficacité et d’efficience des services publics.
Il en était résulté un alourdissement considérable des charges publiques à la fin des années 70 une période, par ailleurs marquée par le retour de la sécheresse et la chute des principaux produits d’exportation sur lesquels reposait essentiellement l’économie du Sénégal.
Cette situation a été aggravée par les deux chocs pétroliers, intervenus successivement en 1971 et en 1973, qui avaient fini par imprimer à notre économie, à travers ses divers agrégats, des tendances de déséquilibre structurels.
Pour juguler ces déséquilibres macro-économiques, le Sénégal s’était engagé depuis 1979, juste un an après avoir bouclé en 1978, le dossier d’appel d’offres du projet d’autoroute, avec les Institutions de Breton Woods, dans un processus de réforme de son économie, par la mise en œuvre de programmes économiques et financiers, avec comme objectifs, de rétablir les grands équilibres, de maîtriser l’inflation et de réaliser une croissance économique saine et durable. Ces programmes étaient exécutés en deux phases : une première phase qui portait sur un Plan d’urgence (1979-1980) de stabilisation de la détérioration des agrégats macro-économiques et un Plan de Redressement économique et financier (1980-1984), et une seconde phase qui portait sur un Programme d’Ajustement à Moyen et Long Terme (PASMLT, 1985-1991) et un Programme post d’évaluation (1994-2000) suite au changement de parité du franc CFA, intervenu le 12 janvier 1994.
L’Etat ne disposant pas de ressources propres suffisantes et les prêts des partenaires au développement, dénommés prêts d’ajustement structurel, ou sectoriel (y compris la phase préparatoire de stabilisation et de redressement) étant spécifiques et ciblés, il était difficile, voire impossible, de pouvoir trouver un financement pour le projet d’autoroute, du moins dans sa conception d’alors.
Ledit projet n’avait donc pas été abandonné mais différé à cause d’une conjoncture économique difficile, mais également du cadre très rigide et très contraignant à travers lequel le Sénégal avait conclu les accords avec les Institutions de Breton Wood pour la période allant de 1979 à 2000.
Le Sénégal a réussi, de 1979 à 2000, à assainir ses finances publiques grâce au travail remarquable abattu par les différents ministres qui se sont succédés à la tête du stratégique Ministère de l’Economie et des Finances, parmi lesquels le couple Sakho/Loum et aux sacrifices importants consentis par le peuple sénégalais durant cette période (réduction des salaires de la Fonction publique, blocage des recrutements, hausse des droits à l’import et des prix des produits pétroliers).
Considéré alors comme un bon élève, grâce à ses résultats au plan économique (tous les clignotants de notre économie étaient devenus verts), renforcés par une stabilité politique éprouvée, le Sénégal venait aussi de passer avec succès en 2000 l’épreuve de l’élection présidentielle, la plus redoutée de son histoire. Aussi, les partenaires au développement ont-ils décidé, dès lors, de réévaluer leur cadre de partenariat avec le Sénégal et de lui accorder des facilités d’accès aux lignes de crédit.
Et c’est justement en cette période favorable de sa trajectoire économique, dans laquelle de nouvelles perspectives ont été ouvertes, que l’alternance est survenue (le 19 mars 2000) au Sénégal et Maitre Abdoulaye Wade succéda à Monsieur Abdou Diouf. Le nouveau locataire du Palais n’a pu s’empêcher, à l’occasion d’une de ses interviews, de dire tout haut, qu’il avait trouvé beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat.
Deux ans après, plus exactement en 2002, le nouveau pouvoir libéral sortit des tiroirs de l’Administration, le dossier de l’autoroute, le «dépoussiéra» et décida de rechercher le financement en vue de réaliser les travaux, sur la base du tracé de 1978, mais en finançant le projet, non plus par le budget de l’Etat seulement (fonds propres) ou à travers un appui classique des partenaires techniques et financiers, comme initialement prévu dans le schéma de 1978, mais plutôt par le mécanisme du partenariat public privé, avec comme option, la concession. En conséquence de quoi, l’usage de l’autoroute ne serait plus gratuit mais payant.
Ces changements ont nécessité des réajustements du projet et certaines adaptations des emprises pour intégrer les dispositifs spécifiques à l’aménagement d’une autoroute à péage, d’autant plus qu’entre temps, l’urbanisation galopante a fait qu’une bonne partie des emprises avait été occupée, de façon régulière ou irrégulière.
Dans cette optique, un consultant (M. Hugo) avait été commis pour une mission d’assistance à la Maitrise d’ouvrage (auprès de l’APIX) et a produit le 30 août 2002, un rapport définitif pour l’actualisation des études du projet d’autoroute.
Après actualisation des études, le tronçon Dakar (Malick Sy- Diamniadio), long de 32 km, a coûté globalement environ 380 milliards 200 millions FCFA, comprenant les travaux de construction autoroutière, la libération des emprises, l’aménagement de la zone de recasement, la restructuration de Pikine-Sud, la supervision et le suivi du programme et diverses autres études.
Pour sa construction, il a été fait recours au partenariat public-privé sous le régime de la concession de type Construction Exploitation Transfert (CET) à une société dénommée SENAC SA, moyennant la perception directe d’un péage auprès des usagers (système appelé communément, dans notre jargon, péage réel).
Cette formule de financement d’infrastructure autoroutière a été utilisée en France avec la création en 1956 de la première société autoroutière : il s’agit de la société Autoroutes Esterel-Côte d’Azur (ESCOTA), chargée de la réalisation de l’ Autoroute A8. Cette autoroute avait inauguré le premier péage autoroutier en France et les années suivantes ont vu apparaître d’autres sociétés autoroutières.
Et depuis le début des années 90, cette formule nouvelle de financement a connu dans le monde entier un regain d’intérêt grâce aux besoins accrus de services et de biens publics et face aux budgets publics très limités et la recherche de meilleure qualité de service.
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