Le profil de certains d’entre eux n’a rien d’extraordinaire, du fait de leur statut d’héritier, de leurs brillantes formations ou de leurs itinéraires professionnels, généreusement rémunérés comme grands patrons de banques ou d’entreprises privées, voire de sportifs de haut niveau. Pour d’autres, parmi lesquels nombre d’hommes politiques, de marabouts et d’hommes d’affaires, le statut de milliardaire, ainsi conquis de manière surprenante, laisse perplexe, surtout quand on sait qu’en principe, on ne devient pas milliardaire, du jour au lendemain. N’est pas et ne devient pas milliardaire qui veut. Faut-il compter sur la chance comme le laisse entendre l’adage populaire qui dit au Sénégal : «Chance mo gueune licence» ? En d’autres termes, «la chance est préférable à l’obtention d’une licence» pour signifier que «xaaliss ken dou ko liguey, dagn koy lidjeunti !» ou «l’argent ça ne se gagne pas, ça se négocie !»
L’on découvre qu’en plus d’avoir la chance d’hériter – qui n’est pas forcément une garantie suffisante de rester riche et milliardaire – étudier, investir, commercer, faire du sport, chanter, entrer en politique, exercer le métier de marabout constituent, entre autres, des moyens légaux par lesquels l’on peut espérer faire fortune et réussir à devenir milliardaire. Mais, force est de reconnaître que l’enrichissement illicite est une voie à tenir en considération si l’on veut trouver une explication dans ces percées fulgurantes qui font qu’on retrouve des personnages atypiques dans le cercle toujours restreint des milliardaires.
De deux au multiple
Le Sénégal comptait deux milliardaires connus jusqu’au début des années 90. Il s’agissait de feux Ndiouga Kébé et Djily Mbaye. De ces deux qui assumaient, humblement et avec générosité un tel statut, le Sénégal est passé apparemment à une multitude de milliardaires qui ne semblent pas vouloir s’assumer et se revendiquer, ouvertement comme tels. Moins pour des motifs relatifs à la pudeur ou par modestie que pour des raisons confidentielles qui protègent des quémandeurs et de la ponction fiscale, monopole qu’exerce l’Etat sur ces grosses fortunes qui préfèrent rester dans l’anonymat. «Pour vivre heureux, vivons cachés», dit le proverbe. L’argent peut aider à vivre dans la discrétion, mais ne préserve pas de l’anonymat.
Les chanteurs populaires nous aident à en soupçonner certains et à les identifier, non pas du fait qu’ils brillent par leurs excès ou par leurs générosités ostentatoires, mais en raison des éloges chantant leur gloire. Des noms de milliardaires circulent. Des estimations de leurs fortunes aussi. On peut citer Cheikh Amar dont les chanteurs ne tarissent pas d’éloges. Cheikh Amar par-ci, Cheikh Amar, par-là. Y en a marre ? Non ! Normal. Amar pèserait 92 milliards Fcfa en fin 2010, après avoir réalisé un chiffre d’affaires de 40 milliards, l’année d’avant. Il mériterait de tenir des conférences à l’Université et dans les grandes écoles pour enseigner l’art de faire fortune. Qu’est-ce qui peut justifier une telle envolée pour quelqu’un qui est parti de l’importation de tracteurs ? Ses accointances discrètes avec la galaxie wadienne devraient inspirer plus d’un à s’intéresser à ce personnage. En 2002, il crée son TSE. En quelques petites années, il devient multimilliardaire.
Le Sénégal compterait désormais une multitude de milliardaires, issus du milieu des affaires, aussi et surtout du milieu politique, sportif et surtout maraboutique. Parmi les milliardaires au Sénégal, les femmes ne sont pas gâtées en termes de représentativité. A part la couturière Diouma Dieng ou l’héritière Ndella Wade, c’est quasiment le désert… Toutefois, ce serait trop réducteur et simpliste d’en conclure qu’être milliardaire, c’est une affaire d’hommes. Que de femmes se cachent derrière ces hommes ? Affaire à suivre… Suite à faire.
La chance d’être fils de…
Certains ne deviennent pas milliardaires, mais sont milliardaires dès la naissance, même s’ils ont eu le choix de devenir pauvres en ratant leur vie. Héritiers intelligents, sérieux et instruits en leur état, enfermés dans un destin doré, ils se sont évertués à ne pas dilapider la chance d’avoir des parents milliardaires, mais ont contribué à la faire fructifier. Donc, énormément de mérite, comparés à bien d’autres. Ces fils de milliardaires peuvent même devenir associés de leur père.
Etre milliardaire peut en fin de compte devenir une affaire de père en fils. Tels Alioune Sow et son fils Yérim. La famille Sow est considérée comme la plus grosse fortune au Sénégal. Père et fils associés. Le fils est devenu autant, voire plus riche que le père. Le père a fait fortune en faisant des routes. Le fils excelle dans l’hôtellerie et la téléphonie. Il en est de même de la famille Mboup. Il y eut le père Bara, puis le fils Serigne qui, en diversifiant ses activités, est devenu une grosse fortune de ce pays. Certes, ceux-là, comme bien d’autres réfugiés dans un total anonymat, ont énormément de mérite. Comme quoi, mieux vaut avoir un bon départ. C’est un coup de pouce inestimable pour devenir milliardaire. Méritants, mais héritiers quand même…
La possibilité d’être père de…
«Les fils de…», il n’y en a pas beaucoup au Sénégal. On devient davantage «père de…» que «fils de…». On se fait finalement un nom à la sueur seulement de son front qu’à la faveur de son nom. Nombre de milliardaires, anciens pauvres devenus nouveaux riches, ont pu s’enrichir, de manière honnête et licite, en flairant le bon deal et en prenant des risques qui se sont révélés payants. Nombre d’entre eux sont restés dans l’ombre, fructifiant leurs affaires à l’abri des envieux, des jaloux, des mauvaises langues et des mondanités. On compte, parmi eux, des avocats, des propriétaires de société, des directeurs de banque, de grands sportifs, un grand musicien devenu ministre (Youssou Ndour) qui aurait, il y a bien longtemps, fêté son 1er milliard. Mais aussi, des sportifs notamment du ballon rond, tel un El Hadj Diouf. Ceux-là disent toujours qu’ils sont «partis de rien», mais force est de reconnaître qu’on part toujours de quelque chose et de quelque part. Ils savent, mieux que quiconque, le prix de la discrétion et la valeur du travail.
On peut naître milliardaire comme on peut le devenir. Il n’y a pas de recette-miracle. La chance compte beaucoup, mais encore faut-il savoir la saisir. Seuls le travail, la rigueur et la discipline permettent de devenir un apprenti-milliardaire. Etre milliardaire n’est pas qu’une question d’argent et de fortune personnelle, planquée dans les banques ou à domicile. Les milliardaires sont souvent des salariés de leurs propres entreprises. Leur fortune s’élève à des milliards, investis dans des sociétés qui leur appartiennent certes, mais qui ne font pas d’eux des milliardaires, puisant des billets dans une caisse à leur portée et dépensant sans compter. Ils ont même l’obligation de rendre compte du moindre sou dépensé. Ils ne sont pas à l’abri d’une banqueroute et de poursuites judiciaires qui pourraient leur rappeler le prix de tout et la valeur de rien.
La Politique, une chance de devenir milliardaire
La Politique est une voie pour devenir milliardaire, surtout en Afrique où il faut se prémunir des lendemains qui déchantent en se parant contre l’éventualité d’une défaite électorale et d’une retraite politique anticipée. La politique peut rendre immensément riche. Apparemment, de manière licite, comme de manière illicite. Ce qui explique que la loi sur l’enrichissement illicite ait été réactivée pour se lancer sur la piste de ceux qui ont abusé des biens sociaux. L’origine de leur patrimoine, bâti en un temps record, est pour le moins douteuse. Il y a manifestement une volonté politique et une détermination juridique de poursuivre les politiciens qui se sont servis de la politique pour s’enrichir, de manière exponentielle et illicite. Une volonté que les banques étrangères et autres paradis fiscaux comptent accompagner en aidant au rapatriement des fonds illégalement acquis.
L’ex-Président Abdoulaye Wade, comme bien d’autres monarques africains, est un milliardaire. Qui s’est vanté même d’en avoir créé de nombreux au Sénégal, depuis son arrivée au pouvoir en 2000. Générosité abusive. Générosité déplacée. Générosité malsaine. Cela ne veut pas dire qu’on aurait apparemment plus de chance de devenir milliardaire dans un pays pauvre comme le Sénégal que dans un pays riche comme la France. A moins de faire de la politique. Que faut-il, d’ailleurs, penser de la deuxième personnalité de la République, le Président du Sénat, Pape Diop, dont la fortune est estimée au moins à 20 milliards Fcfa, soit 1% du budget national ?
Président milliardaire
Le nouveau Président, Macky Sall, est un milliardaire. Est-il devenu milliardaire grâce à la politique ? Le PM Abdou Mbaye, comme bien d’autres ministres, est tout aussi milliardaire. Normal ! Après 30 ans de bons et loyaux services comme directeur de banques, il ne pouvait en être autrement. L’argent appelle l’argent. La politique aussi. Le Président Macky Sall, pauvre de naissance, néo-riche, est plus fortuné que le président français, nouvellement élu, François Hollande. Riche de naissance, toujours riche, sorti de trois Grandes écoles parmi les plus prestigieuses de la France, HEC, Science Po, ENA… Mille milliards de mille sabords, pourrions-nous nous crier à l’instar du compagnon de Tintin, le Capitaine Haddock ! Macky Sall devrait être invité dans les universités et les grandes écoles de Management pour enseigner l’art de faire fortune et de devenir milliardaire, en moins de 10 ans de présence cumulée aux affaires, au sommet. Sommé, au nom du respect du principe constitutionnel de faire sa déclaration de patrimoine, il a dû publier celle-ci. Certains membres de l’opposition, issue de la majorité sortante, harcelés par des audits qui pourraient non seulement les envoyer en prison, mais aussi voir leur fortune planquée dans des banques étrangères rapatrier au Sénégal, l’invitent, sans succès, à s’expliquer sur l’origine de ce patrimoine ainsi que sur celui de son épouse.
Comment peut-on être milliardaire et Président dans une République pauvre comme le Sénégal ? Ce n’est pas la question à poser. C’est plutôt l’inverse, plus source d’étonnement et d’interrogation. Comment peut-on devenir Président de la République sans être milliardaire au Sénégal ? Les principaux candidats à s’être présentés à la Présidentielle de 2012 sont presque tous fortunés : Macky, Niasse, Tanor, Idy, Djibril Ngom, Diouma Dieng, entre autres. La politique est devenue une grosse affaire d’argent. Le nerf de la guerre. Le nœud pour faire taire les détracteurs. Le peuple, pauvre dans son écrasante majorité, ne s’en offusque pas. Pour beaucoup de personnes, le problème, ce n’est pas de s’enrichir illicitement, mais de ne pas partager. Donner pour ne pas être inquiété. Donner pour s’enrichir. Tel est l’énigme du don. Faire des bénéfices avec la Res publica qui n’est pas un diminutif de Res publicaisse. Caisse noire, a-t-on dit ? Noire pour blanchir des fonds politiques en fortunes personnelles.
Marabout milliardaire
Etre marabout n’est pas un métier, ni une fonction, mais qu’est-ce que ça rapporte gros sans fournir, bien souvent, le moindre effort. Nombre de Sénégalais aimeraient bien se reconvertir dans cette activité. Les talibés assurent généreusement des versements permanents pour payer la dette d’une prière, voire d’une protection mystique. Des marabouts en Louis Vuitton. Qui voyagent en Première ou en classe Affaires. Des marabouts qui nourrissent des milliers de personnes gratuitement tous les week-ends. Qui peuvent s’offrir autant d’épouses qu’ils le souhaitent. Des marabouts aux multiples villas, roulant en Mercedes, Lexus, 4X4 et autres grosses berlines. Ces marabouts ne peuvent être que des milliardaires. Marabouts, étonnamment mais lucidement milliardaires. Il est rare de voir des milliardaires devenir marabouts.
Dommage pour nombre de jeunes ambitieux, sans emploi, qu’il n’y ait pas de concours national d’accès à la profession de marabout. La ruée vers le sacré aura, malgré tout lieu. Peu importe que la sainteté tend à être, aujourd’hui, conçue comme un pur produit d’héritage de père en fils. C’est moins pénible d’adorer Dieu quand on est milliardaire. Est-ce la raison pour laquelle le chroniqueur religieux, Oustaz Alioune Sall, termine ses prêches en invoquant cette prière «qu’Allah mette quelque chose dans notre poche». Quoi donc ? De l’argent ! En attendant, l’Ouztaz s’est présenté comme candidat à la députation. Pour qu’Allah mette quelque chose dans sa poche ? Voire…
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