Parce qu’étant née, vivant et travaillant au Sénégal, Mme Allia Tarraf se définit comme une héritière devant perpétuer le legs du Père, Saïd, bâtisseur du groupe familial actif dans beaucoup de secteurs économiques.
Pouvons-nous savoir qui est le manager Allia Tarraf ?
Après un Bachelor en Finance obtenu à la John Molson School of Business à Montréal, je suis rentrée à Dakar en 2005 tout en ayant travaillé au sein des différentes entités du Groupe Tarraf, pendant mes vacances scolaires. J’ai intégré Senbiscuits en 2005 où j’ai fait mon apprentissage durant 7 ans au contact des employés sans qui, l’usine ne pourrait pas tourner ; au contact des clients sans qui, le produit ne pourrait pas arriver sur la table du détaillant et entre les mains de nos consommateurs. Et j’ai découvert les pays de la sous-région grâce à nos partenaires à l’export qui font un travail remarquable dans la distribution de nos produits. Ces années passées au sein de Senbiscuits ont été, professionnellement et humainement parlant, d’une richesse incroyable et cela m’a permis de dépasser en partie «mon syndrome de l’imposteur» qui m’habite secrètement depuis toujours…
Par la suite, j’ai piloté la mise en place de la Sénégalaise d’Emballages, unité de fabrication de cartons ondulés, gérée actuellement par mon frère, Mahdi. J’ai rejoint la Direction Générale du Groupe en 2012 et j’ai eu la chance d’être formée à ce poste par un homme d’affaires extrêmement brillant, Saïd Tarraf. J’ai la chance, à ce jour, de continuer de bénéficier de ses précieux conseils. Et comme j’ai coutume de dire : «Une vie ne me suffirait pas à accomplir ce qu’il a fait.» J’ai également la chance d’avoir plusieurs garde-fous pour me permettre de continuer à évoluer sereinement au sein du Groupe. Je pense notamment au top management, présent depuis presque le début et qui me prodigue de précieux conseils, sans oublier ma famille. Mon frère Mahdi, qui est l’eau quand je suis le feu, il me tempère donc énormément. Ma sœur, Miré, qui est de très bon conseil et qui est surtout une oreille attentive, sans oublier ma maman, la condition sine qua non pour me permettre d’avancer, de m’accrocher… Elle me motive, me tire les oreilles parfois, mais c’est ma maman… Je pense qu’en alliant un équilibre professionnel, familial et affectif, on peut traverser beaucoup d’épreuves et aller de l’avant pour relever d’autres défis…
Alors, présentez-nous le Groupe Tarraf et son évolution, ces dernières années ?
Le Tarraf est un groupe industriel s’illustrant dans la fabrication de produits alimentaires (Pâtes alimentaires, biscuits et produits laitiers). Nous avons aussi notre propre réseau de distribution, avec les Etablissements Jamil Tarraf, qui commercialise les produits de nos usines, et aussi d’autres marques importées, sur le territoire sénégalais et dans la sous-région.
Forts de 50 années de présence, nous sommes un acteur important du paysage industriel sénégalais. Nous avons vécu des années de croissance que nous avons soutenues par la réalisation de nombreux investissements entre 1995 et 2005. Cette croissance n’aurait pu être possible sans le soutien du secteur bancaire qui nous a fait confiance tout au long des années et qui a accompagné notre développement.
Depuis 2009, nous sommes dans une logique de pérennisation de nos acquis et nous souhaitons recentrer nos activités sur les marchés qui nous semblent les plus porteurs : les produits alimentaires secs et l’emballage avec notre nouvelle unité de fabrication de cartons d’emballages (SENEMB). Nous avons effectué des investissements importants sur cette dernière unité afin de nous positionner sur ce marché et proposer une nouvelle offre à nos confrères industriels sénégalais. Les débuts sont difficiles, car nous avons dû apprendre un nouveau savoir-faire et les aléas d’un secteur que nous n’avions jamais expérimenté auparavant. Cependant, nous mettrons toute notre énergie à assurer la croissance de cette entreprise dans les années à venir.
Enfin, nous sommes un groupe familial et agissons toujours dans l’intérêt des affaires, mais de concert avec les membres de notre famille. Nos employés et collaborateurs, dont certains sont avec nous depuis 40 ans, font aussi partie de cette grande famille. Nous les remercions pour toute l’énergie et l’efficacité qu’ils ont mises au service du Groupe.
Comment analysez-vous l’environnement des affaires ?
Les affaires au Sénégal ont souffert de la crise mondiale, malgré la croissance soutenue de notre économie. Nous avons vécu, comme les autres acteurs du secteur, des années assez difficiles avec la régulation du secteur bancaire et la difficulté de l’accès au financement qui s’en est suivie. Dans les secteurs de la distribution et de l’industrie, l’économie parallèle informelle a prospéré, mettant en mal des acteurs qui bénéficiaient d’une présence solide sur le marché et qui ont des charges fiscales beaucoup plus lourdes du fait de leur contribution aux impôts et taxes. Ce qui est essentiel à l’Etat pour la bonne marche de nos structures et prestations publiques.
Mais cette économie parallèle et informelle, avec laquelle nous sommes en concurrence inéquitable, est certainement une cause importante des difficultés auxquelles font face plusieurs entreprises sénégalaises.
Quel est le positionnement du business sénégalo-libanais dans le pays ?
Je n’aime pas parler de business «sénégalo-libanais», car même s’il fut un temps où les Sénégalais d’origine libanaise contrôlaient nombre de secteurs économiques, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Nous saluons l’émergence de grandes entreprises où des hommes d’affaires sénégalais s’illustrent. Les Sénégalais ont toujours eu un don certain pour le commerce et une ingéniosité qui leur a permis de faire autant ou plus que leurs compatriotes d’origine libanaise.
Nous, acteurs économiques sénégalais d’origine libanaise, œuvrons, parfois trop discrètement, au développement de ce pays qui a accueilli nos parents et grands-parents et dans lequel nous souhaitons offrir un avenir à nos enfants et petits-enfants. Etant donné l’attrait nouveau que les multinationales ont pour l’Afrique, nous serons tous confrontés à de nouveaux challenges pour maintenir et faire croître nos entreprises nationales. La cohésion et la coopération des entreprises sénégalaises entre elles est plus que jamais nécessaire pour maintenir notre indépendance économique.
En termes d’intégration sociale, les Libanais, des « Sénégalais à part entière ou entièrement à part » ? Expliquez-nous…
Il m’est difficile de répondre autrement qu’en vous disant Sénégalais à part entière ! La majorité, pour ne pas dire toute ma génération, vous dira qu’ils sont enfants et petits-enfants de parents et grands-parents nés au Sénégal. Nous avons, pour la plupart, fait nos études à l’étranger et sommes rentrés au pays pour contribuer à son développement et à son rayonnement sous-régional. Nous sommes un Groupe 100% sénégalais et tous nos investissements se font au Sénégal, car nous avons le devoir de contribuer à l’emploi et à la croissance de notre économie. Nous nous sentons chez nous au Sénégal, car nous sommes Sénégalais, nous y sommes nés, avons nos souvenirs d’enfance, d’adolescence…
Pour la plupart d’entre nous, nous ne connaissons pas le Liban. Pour ma part, j’ai mis 32 ans à y aller pour une raison bien précise, mon frère et ma sœur n’y sont jamais allés… Donc oui, nous sommes des Sénégalais à part entière et le resterons parce que c’est de là que nous venons, c’est ici que sont nos racines, et peu importe où nous serons plus tard, le Sénégal est et restera notre pays, notre patrie.