Il faut accélérer la cadence de transformation des PME de l’informel vers le formel et du stade de petite entreprise à celui de Champion national, voire international. C’est, en résumé, le cahier de charges que l’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME). La cheville ouvrière de la politique économique pour les PME, doit remplir, sans délai, surtout après la publication du RGE de l’ANSD. Idrissa M. Diabira, son Directeur Général, en est conscient. Il invite tous les acteurs à se retrousser les manches pour réussir le challenge. Entretien !
REUSSIR : L’ANSD vient de procéder à un Recensement Général des Entreprises (RGE). Il nous apprend que +99% de nos entreprises sont des PME. En qualité de DG de l’ADEPME, comment appréciez-vous ce résultat au regard des objectifs du PSE ?
Idrissa M. Diabira : La mesure est la différence entre le pilotage à vue et celui orienté résultat. L’ANSD nous fournit, avec le RGE ou la rénovation des comptes nationaux, les indispensables balises pour piloter efficacement des politiques publiques orientées résultats, a fortiori la politique en faveur des PME. Et l’heure est à propos, car l’agenda de l’Etat est placé sous le sceau de l’action. Or, après avoir restauré les marges de manœuvre budgétaire en profilant de nouveau une dette insoutenable ou en réduisant de 2 points le déficit budgétaire, après avoir inscrit le pays dans une nouvelle trajectoire de croissance supérieure à 6% pour la 2ème année consécutive, soit une performance inédite depuis près de 40 ans grâce à des investissements publics massifs, pertinents et de qualité, l’heure est résolument au maintien et à l’accroissement d’une croissance forte et inclusive, créatrice de richesses et d’emplois. L’heure est au Secteur privé sénégalais et à la PME qui en représente 99,8%. Seule la PME formelle et compétitive permettra de relever l’immense défi auquel le Sénégal fait face depuis les indépendances.
REUSSIR : Justement en 2017, 97% des PME sont informelles, un chiffre qui signe l’échec des anciennes politiques en faveur des PME ?
IMD : Elles n’ont pas toutes échoué, nous y reviendrons, mais le défi reste entier. On a longtemps pensé que l’héritage de l’informel, laissé à nos Etats nouvellement indépendants, était anormal et temporaire. En fait, il n’a cessé de se développer et de se pérenniser. Il représente 97% du Secteur privé et de nos entreprises. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation car elle signifie que seules 3 entreprises sur 100 participent à l’effort national pour sécuriser, nourrir, former, soigner, construire des infrastructures qui, pourtant, bénéficient à tous les Sénégalais. C’est simplement intenable et injuste ! Nous devons repenser notre modèle pour qu’il soit plus équitable, plus juste et que chacun s’y retrouve. Voilà le sens de l’action du Chef de l’Etat depuis le début de son magistère et de l’axe premier du PSE : transformer structurellement notre économie. Pour y arriver, nous innovons et transformons le pays en privilégiant désormais la base, là où s’opèrent les profonds changements. C’est tout le sens de la politique conduite avec les Bourses, le PUDC, le PRODAC, la CMU, le FONGIP, etc. La PME s’inscrit résolument dans ce processus.
Jusqu’aux années 70, des anciennes politiques ont permis d’avoir des résultats probants avant que des changements de politiques, mal avisées, dans les années 80 ne viennent détruire nos maigres acquis industriels. Rappelons-nous, par exemple, que nous fabriquions la voiturette «Gaïndé» et disposions d’une industrie textile qui exportait en Iran ou aux Etats-Unis sans l’AGOA.
REUSSIR : Que retenez-vous alors de positif des anciennes politiques qui est utile à la politique à mettre en œuvre en faveur du PME, aujourd’hui ?
IMD : Je retiens que dans les années 70, nous avons connu un quasi-âge d’or de nos entreprises industrielles. Il a été le fait d’une politique volontariste d’industrialisation s’appuyant sur plusieurs piliers sectoriels – les agro-industries et quatre sous-filières intégrées dont le textile, les fruits et légumes, l’huilerie et les cuirs et peaux – les industries chimiques et pharmaceutiques, celles de la façade maritime et des chaînes hôtelières et les industries pharmaceutiques et énergétiques. Surtout notre dispositif d’accompagnement des PME, bâti autour de la Société Nationale d’Etudes et de Promotion Industrielle (SONEPI) et d’instruments financiers, notamment la SOFISEDIT, qui étaient au service de cette politique d’industrialisation et de développement du tourisme. Voilà le principal enseignement à retenir de ses témoins et acteurs notamment comme l’économiste Moustapha Kassé ou l’ancien cadre et DG de la SONEPI, Cheikh Tidiane Sakho.
REUSSIR : Pensez-vous que Sénégal puisse renouer avec cet «âge d’or» ?
IMD : J’en suis convaincu. Le Chef de l’Etat a défini une vision claire du Sénégal en 2035, voire bien avant, l’émergence ou Yokkuté. Il conduit une politique volontariste pour y parvenir : le PSE qui donne des résultats. Le passé nous apprend qu’il faut d’une part, articuler l’ensemble de notre dispositif d’accompagnement – financier et non-financier – et d’autre part, le mettre résolument au service de cette politique et des secteurs prioritaires du PSE. L’enjeu est de disposer de PME compétitives, de champions qui soient le moteur d’une croissance inclusive et durable. Il est possible de modifier profondément la typologie des PME au Sénégal, révélé par l’ANSD où seuls 1,8% des entreprises ont un chiffre d’affaires au-dessus de 100 millions FCFA/ an et où les 0,2% des entreprises, soit 800 seulement, sont de grandes entreprises qui pourtant génèrent 70% du chiffre d’affaires global alors que les 97% du secteur informel ne contribuent qu’à hauteur de 16%.
REUSSIR : Mais n’y a-t-il pas trop peu de PME susceptibles de devenir des champions au Sénégal au regard des chiffres de l’ANSD ?
Nous disposons de dizaines, voire même de centaines de PME, identifiées susceptibles de devenir des champions en 2 ou 3 ans maximum. Elles ont déjà bénéficié de plusieurs dispositifs de l’Etat comme l’APIX, le BMN, l’ADEPME, les services des Douanes et bien sûr des Impôts. Leurs dirigeants sont de véritables entrepreneurs méthodiques, persévérants et visionnaires. Le dirigeant de cette jeune industrie de raffinerie de AMO Industries en fait partie. Sa PME devient un acteur déjà majeur de la chaîne de valeur des leaders mondiaux et nationaux de l’agroalimentaire en les fournissant en sel fin. Il a su accroître sa valeur ajoutée et en se développant dans une approche qualité certifiée avec un appui de l’ADEPME et notre Fonds à Frais Partagés qui subventionne jusqu’à 90% de l’expertise. Je pourrais également parler, dans les mêmes termes, d’une autre entreprise PRISMA Industrie, qui fabrique de la peinture de grande qualité et propre. Ces deux entreprises sont des exemples de futurs champions sur lesquels nous voulons miser pour élargir l’assiette de nos grandes entreprises.