Dans un récent reportage, la chaîne de télévision française France 2 a affirmé que le lait local sénégalais est taxé à 26 % là où celui importé l’est à 8 %. Cette affirmation est-elle correcte ?
Dans un reportage sur le marché du lait au Sénégal, la télévision française France 2 a consacré, le 24 février 2017, une large partie aux entraves au développement de la filière laitière locale. Evoquant la fiscalité, le reporter souligne les facilités fiscales accordées au lait importé pour être reconditionné sur place par les industries laitières, contrastant avec les difficultés auxquelles font face les laiteries qui choisissent de collecter le lait auprès des éleveurs locaux.
Dans une séquence, le reportage fait un focus sur Bagoré Bathily, directeur de la Laiterie du Berger, une entreprise qui a fait le pari de fabriquer des produits laitiers issus exclusivement de la collecte de lait auprès des éleveurs locaux. M. Bathily explique que «le paradoxe ultime ici c’est que pour amener un litre de lait de collecte de la brousse de Richard-Toll à l’usine, on aura payé plus de taxes que pour amener un litre de lait reconstitué à partir de poudre qui vient de Nouvelle-Zélande ou d’Europe. Les barrières douanières sont faibles et localement on paye énormément de taxes».
Un lecteur a contacté Africa Check pour demander la vérification.
Sur quoi M. Bathliy s’est-il basé ?
Africa Check et son partenaire, la WADR, ont contacté Bagoré Bathily, dans le cadre de l’émission «Arrêt sur Info», pour avoir plus de détails sur les coûts de production du lait local. Le patron de la Laiterie du Berger a d’emblée précisé que «le lait sénégalais n’arrive pas à tenir la compétition avec le lait importé». M. Bathily a liste les problèmes réglementaires. Selon lui, «dans la chaîne de valeurs du lait sénégalais, si on analyse les taxes et les différents coûts aux différents processus de sa fabrication, ces coûts-là, quand on les additionne, ils sont supérieurs aux coûts d’entrée dans le pays pour certaines catégories de lait importé».
Il a souligné que quand la poudre de lait rentre au Sénégal, elle est dans une catégorie de taxation relativement basse. «Elle est taxée à 5 % de droits de douane (avec les accords de partenariat économique [signés avec l’Europe], ce sera même 0 %). Après les droits de douane, il y a quelques petites taxes. En consolidant tout cela, on a 8 % de taxes (sans la TVA)». Pour ce qui est du lait de collecte sénégalais, M. Bathily a précisé «qu’il faut déjà aller dans une zone où on produit du lait (…), organiser un système de collecte avec des voitures, des motos et des gens. Donc, quand on regarde le coût de collecte, il représente à peu près le tiers de ce que coûte le lait quand il arrive à notre usine». «Nous achetons le lait à l’éleveur à 225 francs CFA le litre. En arrivant à l’usine, il nous aura coûté 325 francs. Les 100 francs, c’est le coût du transport (…). Donc, si on consolide tout cela, le carburant et les salaires des employés, on peut considérer que sur les 100 francs du coût de collecte d’un litre de lait, les 35 francs vont dans les caisses de l’Etat», a-t-il précisé.
Il a affirmé que «si on fait le même calcul pour le lait fabriqué à partir du lait en poudre importé (5% droits de douane et toutes les autres petites taxes), on va trouver que l’Etat gagne entre 12 et 15 francs CFA sur un litre de lait. Cela fait que les industriels n’ont jamais intérêt à acheter le lait au Sénégal».
Que disent la douane et la Direction du commerce extérieur ?
En consultant les données de la douane et de la Direction du commerce extérieur transmises à Africa Check par courriel, il apparaît, en dehors de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est de 18 %, qu’il y a différentes taxes qui sont appliquées aux différentes catégories de produits laitiers importés au Sénégal. Au niveau de la douane, on trouve exactement 7 taxes (hormis la TVA) qui sont : le droit de douane, la redevance statistique, le droit d’accise, le prélèvement communautaire de solidarité et le prélèvement communautaire de CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest).
A cela s’ajoutent l’acompte sur le Bénéfice industriel et commercial, ainsi que le prélèvement pour le Conseil sénégalais des chargeurs. Pour la catégorie de lait qui nous intéresse ici, le lait en poudre importé pour le reconditionnement, les données de la Direction du commerce et celles de la douane montrent que les taxes prélevées varient entre 8 % et 12 %, avec 5% de droit douane en raison du tarif extérieur commun de la CEDEAO.
Conclusion : l’information est erronée
Le directeur de la Laiterie du Berger, Bagoré Bathily a raison de dire que cela coûte plus cher de collecter du lait auprès des éleveurs locaux pour en faire des produits laitiers que d’importer du lait en poudre pour le même usage. Mais il fait une confusion entre le coût de production du lait et la taxe sur celui importé. Les données disponibles au niveau de la douane et de la Direction du commerce extérieur montrent en effet que les barrières douanières sont très faibles en ce qui concerne l’importation de lait en poudre (entre 8 et 12% hormis la TVA).
Cependant il n’est pas exact de dire que le lait importé est plus taxé que le lait local, dans la mesure où pour le lait local il ne s’agit pas de taxes directement prélevées sur le produit mais plutôt du coût de production prenant notamment en compte les charges en terme de logistique et de salaires du personnel.
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