Au Sénégal, les accidents de la route ont fait perdre à l’économie 77 milliards de francs CFA, soit 1% du PIB, selon deux officiels du ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement. Cette information n’est pas prouvée.
«Annuellement, le ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement évalue [les accidents de la route] à plus de 1% du Produit intérieur brut (PIB), soit plus de 77 milliards de francs CFA», rapporte Cheikhou Oumar Gaye, directeur des transports routiers, dans un article du journal journal Enquête du 28 janvier 2017.
Sur quoi cette annonce est-elle basée? Nous avons vérifié.
D’où viennent ces chiffres ?
L’auteur de l’article, Pape Noha Souané, a précisé à Africa Check que ce sont les collaborateurs du ministre des Transports qui lui ont livré cette information.
Africa Check a joint le cabinet du ministère en question. Le chargé de communication, Latir Mané, a confié que «ces chiffres sont ceux que la Direction des transports routiers (DTR) a collectés à travers la Police, la Gendarmerie et la Brigade nationale des sapeurs-pompiers. C’est à partir de cela que l’on évalue le volume des accidents et leurs coûts ».
Il a ajouté que le chiffre de 77 milliards est calculé à partir «des dégâts matériels et de l’activité des personnes décédées». M. Mané a en outre précisé que «le ministère ne peut communiquer tout le document ».
Les accidents enregistrés au Sénégal
Les statistiques de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers renseignent sur l’évolution du nombre d’accidents au Sénégal de 2013 à 2015.
Année Nombre d’accidents
2013 5.180
2014 12.547
2015 13.882
Source : BNSP
Ces données ne prennent pas en compte les accidents constatés par la Police et la Gendarmerie
La Banque mondiale a-t-elle étudié l’impact des accidents au Sénégal ?
Africa Check a consulté la base de données pays de la Banque mondiale. Aucun document n’a trait aux accidents de la route encore moins sur leurs coûts au Sénégal.
Joint par téléphone, le chargé de communication du Bureau de la Banque mondiale au Sénégal, Mademba Ndiaye, doute de l’existence d’une étude de cette nature portant sur le Sénégal. «A ma connaissance, la Banque mondiale n’a pas encore réalisé une étude pareille pour le cas spécifique du Sénégal », a dit M. Ndiaye.
1 à 5 % du PIB des pays en développement
Le Fonds mondial pour la sécurité routière (FMSR), une entité de la Banque mondiale, a produit un rapport intitulé «Road for Health», en 2014. L’étude utilise l’indicateur recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à savoir le ratio nombre de personnes décédées pour 100 000 habitants d’un pays.
En outre, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, sans citer une source, mentionne dans l’avant-propos que «les dommages des accidents de la route sont estimés entre 1% et 5% du Produit intérieur brut dans les pays sous-développés».
Les structures officielles ont-elles évalué les accidents ?
Habilitées à suivre l’évolution de l’économie du Sénégal, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) et la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) n’ont pas fait état dans leurs rapports d’un impact des accidents de la route sur le PIB.
Dans les différents rapports annuels sur la «situation économique et sociale du Sénégal» disponibles et consultés par Africa Check, l’ANSD consacre un chapitre à la sécurité routière où elle mentionne le volume des accidents et la nature des engins impliqués. Mais elle n’évoque dans aucune ligne le coût économique qu’ils engendrent. La DPEE n’examine pas non plus cette question sous cet angle.
Africa Check a contacté le patron de la DPEE, Pierre Ndiaye. Ce dernier a répondu : «A ma connaissance, il n’y a aucune étude sur l’impact de accidents de la route sur le PIB du Sénégal».
Jointe par téléphone, la chargée de la communication du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (CETUD), Dior Mbacké Dia, a invité Africa Check à se référer à la Direction des transports routiers car «étudier le coût des accidents ne fait pas partie des missions » de son organisation.
Qu’a fait la BAD dans ce domaine ?
La Banque africaine de développement (BAD) a produit, en décembre 2013, un rapport intitulé «La sécurité routière en Afrique : Evaluation des progrès et enjeux du système de gestion de la sécurité routière».
Le Sénégal ne fait pas partie de l’échantillon de 14 pays concernés par cette enquête.
«Parmi les pays où des données ont été recueillies figurent le Nigéria, le Ghana, le Maroc, l’Éthiopie, la Tunisie et l’Ouganda», renseigne le document.
Coût économique des accidents dans certains pays africains
Pays Coût en dollars US Pourcentage du PIB
Nigeria 6 milliards 3%
Ghana 288 millions 1,60%
Maroc 1,2 milliard 2,50%
Ethiopie 104 millions 0,50%
Tunisie 190 millions 1%
Ouganda 114 millions 2,70%
Source : BAD
Et l’OMS ?
A travers son rapport sur la sécurité routière 2015 consacré à l’Afrique, l’OMS mentionne que le Sénégal a perdu 1% de son PIB à cause des accidents de la route. En bas du tableau, elle renvoie à la source de l’information en l’occurrence la Direction des transports routiers du Sénégal. Mais cette mention ne revient pas dans les tableaux consacrés aux autres pays africains.
Cependant, l’indicateur appliqué à tous les Etats africains par l’OMS est le ratio nombre de personnes décédées par rapport à 100 000 habitants.
Conclusion : aucune donnée ne confirme le Direction des transports terrestres
Il n’y a pas suffisamment de preuves ouvertes qui attestent que les accidents ont entraîné une perte de 1% sur le PIB du Sénégal. Ni l’Agence nationale de la statistique (ANSD), ni la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) encore moins le Conseil exécutif des transports urbains de Dakar n’ont fait état de cet impact sur l’économie à travers leurs études.
Les partenaires techniques et financiers comme la Banque mondiale et la BAD n’ont pas encore étudié le coût des accidents de la route sur l’économie sénégalaise, même s’ils l’ont fait dans d’autres Etats.
L’OMS mentionne qu’elle a obtenu ce chiffre de la Direction des Transports routiers du ministère des Transports. Ce dernier reste évasif sur la question.
www.fr.africacheck.org
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