L’année 2015 avait été placé sous le signe de la conscience historique des africains, 2016 sous le signe de l’unité monétaire et la juste valeur de la dette africaine. L’année 2017 sera placée sous le signe de la demande de flexibilité monétaire nécessaire à la construction de l’Afrique. Bienvenue en Afrique, le continent des urgences, où les enfants édifiés sur beaucoup de faits, ont décidé de prendre en main leur destin (en référence à ‘feu’ Ch. A. Diop). Lorsque tout est urgent, il est nécessaire de détecter les ‘urgences urgentes’ et de commencer par ‘l’urgence urgemment urgente’ représentée par l’avenir du franc CFA. La troisième chronique Debout l’Afrique vous invite à une réflexion sur la dimension internationale de notre monnaie avec l’article ci-joint intitulé Franc CFA : Rester, Sortir ou Réformer ? Zoom sur La dimension internationale de notre monnaie.
2016 a connu la plus forte confrontation idéologique entre défenseurs et pourfendeurs du franc CFA. Même la presse française a sonné l’alarme (journal LE MONDE et MEDIAPART). Quelle synthèse pourrait éclairer nos lecteurs ?
Il est vrai qu’en 2016 le navire CFA a pris l’eau de toutes parts. Voir la presse française critiquer les mécanismes de fonctionnement de notre monnaie, est une preuve qu’un temps est réellement révolu. Dans une vision multidimensionnelle, le franc CFA se situe entre ceux qui l’achètent pour survivre, ceux qui le brandissent comme arme de défense dans la guerre internationale des monnaies, ceux qui en font un vecteur générateur de devises à travers leur monnaie non convertible, ceux qui en profitent pour vivre au-dessus de leurs moyens et ceux qui l’ont conçu comme une courroie de transmission entre les économies d’Afrique subsaharienne et occidentales.
Dans un tel pêle-mêle d’étalage du franc CFA, il sera difficile, voire même impossible de trouver un dénominateur commun à tous ces acteurs. De l’avis des pourfendeurs du CFA : un régime de change fixe relevant d’un autre temps, un système monétaire au profit de la France et des élites africaines, une politique monétaire restrictive (objectif d’inflation autour de 2% qui freine la dynamique économique), une monnaie trop forte.
De l’avis des défenseurs du CFA : des arguments de pourfendeurs fondés sur aucune étude, une forte campagne de désinformation orchestrée autour de la monnaie, un franc CFA qui apporte une réelle stabilité monétaire dans la zone. Aujourd’hui, toute la polémique est centrée sur la dimension franco-africaine du franc CFA, alors que notre monnaie reflète une deuxième dimension, internationale, qui nous impose la synthèse suivante :
Nous n’avons pas à sortir d’une monnaie qui nous appartient car nous achetons le CFA au Trésor français au même titre que la France achète l’euro à la Banque centrale européenne (BCE) et nous sommes les seuls (pays de la zone franc CFA) à acheter cette monnaie ;
Il n’est pas question de maintenir les fonctionnalités d’une monnaie qui ne profite pas au peuple africain ;
Le contexte économique mondial actuel est tel, qu’il est préférable de réformer en profondeur les mécanismes du franc CFA et d’attendre d’avoir plus de maîtrise et de compréhension sur cette guerre des monnaies.
Comment expliquer cette dimension internationale du franc CFA ?
Les Etats ont été à la base de l’internationalisation de leurs relations, mais la mondialisation est faite par les entreprises. Seulement, aucun référentiel monétaire international n’a été conçu par le FMI et la Banque Mondiale pour accompagner cette mondialisation. D’aucuns diront que le dollar représente ce référentiel aujourd’hui, mais la monnaie des Etats Unis ne peut pas défendre l’intérêt général de tous les autres pays. Le monde économique est complètement dépourvu de système monétaire international capable d’arbitrer convenablement les échanges de biens et services. Nous avons connu le système étalon-or par convergence des nations avec un commerce mondiale florissant sur la période 1815-1913 (chambres de compensation et fonds de salaires). Ensuite nous avons vécu l’étalon de change or par accord international de Bretton Woods (1944-1971), période marquée par une réelle stabilité financière internationale (aucune crise). Mais depuis la suspension de sa convertibilité en or (15 août 1971), le dollar imposé comme monnaie de référence, pose de réels problèmes (la quantité de dollars en circulation dans le monde ne représente pas la richesse des Etats Unis). La naissance de l’euro s’est ainsi heurtée aux contraintes du dollar suite à une guerre des monnaies en corrélation avec une globalisation financière. Une inégalité dans l’usage des devises en découle car la politique monétaire de la FED (Banque centrale des Etats Unis) ne peut garder durablement un équilibre avec les besoins des autres pays du monde ; le commerce mondial se retrouve essoufflé.
Arrimée à la monnaie européenne qui est en guerre depuis quinze ans, le franc CFA souffre aussi de ses corrélations avec les autres monnaies du monde. La zone CFA doit d’abord donner de la voix pour sortir de sa prison monétaire en appelant à l’assainissement de l’environnement économique international, avant de décider de sortir, de rester ou de réformer le franc CFA.
Pour les échanges internationaux, il faut revenir au standard or. En effet, l’or est reconnu et accepté par le monde entier, avec une duration proche de soixante années (en rapport avec les stocks et les flux annuels) ; l’or est le seul actif terminal, au bilan d’une banque centrale, qui ne représente pas un engagement dans un autre bilan. Ce métal n’a pas d’équivalent pour un futur référentiel monétaire international.
Le FMI et la Banque Mondiale doivent se mettre au service de tous les peuples, par une coordination des politiques monétaires et une veille permanente sur la stabilité financière internationale. Rappelons qu’un des mandats du FMI a toujours été d’assurer une stabilité financière internationale ; l’Afrique reste encore en attente d’apprécier le travail de l’organisme dans ce domaine.
Comment expliquez-vous cette guerre des monnaies et ses effets sur le franc CFA ?
Les banques centrales se livrent à une guerre des monnaies marquée par des politiques monétaires divergentes.
La FED imprime du dollar sans contrepartie depuis 1971 et oriente sa monnaie à la hausse ou à la baisse en fonction de ses besoins ; les autres banques centrales s’ajustent continuellement pour maintenir la valeur de leur stock de devises.
Pour relancer leur économie, les banques centrales des grandes puissances occidentales se sont lancées durablement dans des politiques de taux d’intérêt bas et d’assouplissement monétaire quantitatif (‘’Quantitative Easing’’ ou QE). Pour la BCE, ce programme démarré en janvier 2015 est sans doute une réelle création monétaire contrairement au SMP de 2010 (‘’Security Market program’’, une injection de liquidités suivie d’une stérilisation pour baisser les primes de risques sur les obligations souveraines de certains pays de la zone euro). Par ce programme de QE, la BCE rachète à ses banques commerciales des titres financiers publics et privés, essentiellement des obligations émises par les Etats pour financer leurs déficits budgétaires ou rembourser leurs dettes passées. Elle s’est engagée dans ce processus jusqu’en mars 2017 et aura ainsi injecté dans l’économie européenne plus de 2 000 milliards d’euros avec deux objectifs visés :
– rendre l’argent disponible dans toute la zone euro, en espérant le retrouver chez les entreprises et les ménages (pour relancer la croissance) ;
– pousser à la baisse les taux d’intérêt des dettes publiques des Etats européens.
La France, comme tous les autres pays européens, continue de bénéficier de cette grande flexibilité monétaire, mais cet argent facile ne se retrouve pas dans l’économie réelle car les banques commerciales le mettent en ‘’déposit’’ pour prendre positions sur les marchés des dérivés, plutôt que de financer les ménages et les entreprises.
Un taux d’intérêt représente exactement le reflet d’une mutualisation du risque économique et du risque de crédit. En pratiquant des taux d’intérêt trop bas (taux directeur nul et taux de dépôt négatif), les banques centrales occidentales ont réussi à annuler le prix du temps et le prix du risque. Un environnement de marché où les taux sont négatifs s’explique logiquement par un présent plus risqué que le futur (et philosophiquement par un futur plus certain que le présent).
Cette guerre se retrouve aujourd’hui sur le terrain asiatique. En effet, la Banque centrale chinoise s’est rendue compte que toute la liquidité asiatique était en dollar ; par des mécanismes de ‘‘SWAP’’ (proposés aux autres banques centrales), elle met en place progressivement une forme d’ordre monétaire asiatique à travers le Renminbi (monnaie réelle chinoise avec le Yuan comme unité de compte). Le démarrage à Shanghai en avril 2016 d’un fixing du métal or, démontre que les Chinois sont conscients qu’ils doivent s’armer pour assurer la convertibilité de leur monnaie. Mieux encore en ces temps de guerre où il n’est pas interdit de redoubler d’ingéniosité, les banques commerciales chinoises ont réussi à mettre en place une autre forme de création monétaire. En écriture, le mécanisme consiste à classer les crédits accordés en ligne d’investissements à la place de la ligne comptable naturellement dédiée, échappant proprement aux contrôles de ratios prudentiels (conversion des créances en investissements). En fin d’année 2016, le volume de créances d’investissement des banques chinoises dépassait largement 2 000 milliards de dollars.
Ce temps de guerre, purement monétaire, oblige tout le monde à chercher des solutions ; les chinois en trouvent par des méthodes qui inquiètent leurs gouvernants, d’autre en cherchent encore, criant à l’opacité des banques chinoises.
Le franc CFA se présente dans cette guerre monétaire, en dommage collatéral pour les Africains dont les banquiers centraux semblent dépourvus de levier pour agir. A l’image des matières premières, le franc CFA est une contrepartie matérielle nécessaire à un combat économique virtuel que le monde industriel mène contre ses oligarques. Nous assistons à une crise des modèles de banques centrales occidentales, un cocktail monétaire inefficace (car aucun des résultats escomptés n’a été atteint) et qui débouche sur des déséquilibres économiques non mesurables :
o une confusion entre politique monétaire et budgétaire, car les finances publiques ne relèvent pas de la politique monétaire mais plutôt des politiques budgétaires nationales (déficit financé gratuitement pour certains et non pour d’autres) ;
o des prix de marché complétement faussés, non représentatifs à l’échelle mondiale (absence de prix de marché des taux courts, des taux longs et des taux de change) qui contrarient toutes les lois physiques d’un marché économique ; les conséquences du ‘’BREXIT’’ en sont une illustration ;
o un coût du capital inexistant qui propulse l’Occident vers une économie de marché où les prix ne sont pas fixés par le marché ;
o une inflation monétaire depuis 2008 (par le QE) à la place d’une évolution des prix, entrainant une tendance à la déflation en Occident sur 2016 (absorption de l’argent facile par les actifs immobilisés, flambée des bourses, inflation des actifs financiers) ;
o une optimisation de la croissance en zone euro rendue impossible depuis plus de dix ans par des contraintes liées aux aléas de la conjoncture économique ;
o une destruction complète du tissu industriel occidental, par le passage d’une conception entrepreneuriale (où le capital était détenu par des entrepreneurs qui développaient des activités en gagnant de l’argent qu’ils réinvestissaient), vers une conception de marché où le capital est détenu par des actionnaires obsédés par la performance financière (la valeur de l’entreprise est mesurée par le capital investi et non par la production).
Cette guerre se résume par des politiques monétaires favorables aux acteurs du marché, des ajustements budgétaires sans fondement, des recherches de stabilité monétaire en ordre dispersé, de l’accès à de l’argent gratuit ou moins cher pour les uns et pas pour les autres, des financements gratuits de déficits, des augmentations de dettes pour une durée indéterminée, etc.
Sans oublier le slogan du début de l’année 2017 (la relance budgétaire est de retour) qui semble mettre tous les acteurs économiques en accord, après l’avoir indexé pendant des années comme vecteur de laxisme étatique et d’emballement de la dette.
Notre monnaie étant arrimée à l’euro, alors nous devrions avoir accès à toutes les flexibilités monétaires accordées à la France. L’avenir du franc CFA passe nécessairement par un abandon pur et simple de ces inégalités de traitement.
Comment voyez-vous cette réforme des mécanismes du franc CFA, face à ce désordre monétaire international ?
Nous sommes appelés à changer d’approche en conception et recherche de solutions à nos obstacles. Le franc CFA est au cœur de nos activités ; pour que le peuple africain puisse en profiter, il est nécessaire de poser le problème en des termes clairs, de ficeler des réponses tangibles et d’inviter nos partenaires français à un débat bilatéral en parlant (nous africains) d’une seule voix ; sans oublier de recentrer le débat sur nos besoins en évitant le terrain de l’idéologie économique.
1- Rappelons qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, l’Occident était à reconstruire. En plus du plan Marshall, la France a bénéficié d’une réelle flexibilité monétaire pour développer ses infrastructures, ses industries, et financer sa politique sociale sans avoir besoin d’emprunter sur les marchés. Cette flexibilité monétaire s’explique par trois sources :
les avances de la Banque de France (création monétaire à hauteur d’une fraction des recettes fiscales annuelles lorsque la situation des finances publiques l’exigeait) ;
le service gratuit par le circuit du Trésor (le dépôt des avoirs des grandes entreprises nationales françaises) ;
la pratique du plancher qui obligeait les banques à acheter des bons du trésor à des taux fixés par l’Etat français et non par les marchés financiers.
La France s’est construite autour de cette flexibilité monétaire et de l’acquisition de nos matières premières bon marché (sans oublier le plan Marshall). La zone franc CFA n’a jamais bénéficié d’une telle flexibilité monétaire depuis les indépendances politiques. Ainsi, à l’échelle de l’arrimage, nous avons droit au même traitement qu’il faut capitaliser et réclamer.
2- Nous devrions porter un autre regard sur le mécanisme des comptes d’opérations, comme un système de réserves fractionnaires qui ne dit pas son nom. Dans un modèle où la BCEAO et la BEAC sont des banques commerciales et que le trésor français représente leur banque centrale, le dépôt de 50% de nos réserves de change que ce dernier nous impose, doit être comparé au dépôt de 1% que la BCE impose aux banques commerciales européennes. Il y a réellement une inégalité de traitement car les banques commerciales européennes peuvent créer cent (100) en octroi de crédit avec un dépôt d’une unité monétaire (1) dans leur compte tenu par la BCE et en respectant un ratio de fonds propres, alors que nous en sommes à une réserve obligatoire de cinquante (50) pour une création monétaire de cent (100).
Moralité : le Trésor français conçoit que travailler avec les banques centrales africaines est six fois plus risqué que travailler avec les banques commerciales européennes. Quelles en sont les preuves ?
La France ne nous fait donc pas confiance, elle nourrit une réelle suspicion de mauvaise gestion économique et de mauvais crédit envers nous. Seulement, au regard de tous les évènements économiques et financiers des dix dernières années (crise boursière, bancaire, économique et des dettes souveraines) nous disposons de plusieurs arguments pour retourner cette suspicion vers le monde occidental et particulièrement vers la France.
3- Au regard de ce que symbolise un taux d’intérêt, le parallélisme entre le fonctionnement des comptes d’opérations et l’assurance peut être déterminant. Pour autant que cette moitié (50% de nos réserves de change) soit une contrepartie qui nous garantit la convertibilité de notre monnaie, nous rappelons qu’une garantie relève de la couverture d’un risque ; or un risque est couvert en contrepartie d’une prime. La prime demandée relève normalement d’une tarification qui tient compte de la probabilité de survenance du risque et des statistiques d’occurrence. Nous avons ainsi besoin de détails sur les études qui ont permis au Trésor français de faire passer ce dépôt de 100%, à 65% puis 50% dans la zone UEMOA depuis l’avènement du franc CFA. En quoi ce service de convertibilité vaut 50% de nos devises en dépôt? Quel est le risque géré par le Trésor pour demander ces 50% ? Risque de faillite ou de dépréciation ?
4- Depuis 2010 (en pleine crise financière internationale), la France a fixé à la BCEAO, un nouveau statut, avec objectif de maintenir le taux d’inflation en dessous de 2% et d’inciter les pays membres à aller chercher les capitaux dont ils ont besoin sur les marchés financiers.
La lutte contre l’inflation ne s’explique pas en zone franc CFA. Sur les quatre dernières années la BCE n’a cessé de multiplier ses efforts pour relancer l’inflation en Europe (rachats massif de dettes publiques, prêts aux banques, taux négatifs entre autres); elle n’a pas réussi à ramener l’évolution des prix au-dessus de la barre des 2% (son objectif affiché) et reste confrontée à plusieurs autres composantes de l’inflation : l’inflation domestique (liée aux fondamentaux de l’économie), l’inflation importée (liée à la hausse des coûts de matières premières), l’inflation des mobilisations ou des biens à duration longue (or, actions, immeubles, etc.) et l’inflation dite ‘‘sous-jacente’’ liée à la hausse des salaires. Ainsi, l’inflation connue sous sa composante liée à la hausse des prix, est devenue depuis la crise de 2008, un vecteur à plusieurs dimensions. Riche de ces dix dernières années d’expérience en crise, la BCE aura au moins intégré l’idée que l’inflation est un phénomène monétaire alors que la hausse des prix est un phénomène de marché.
Combien de composantes de l’inflation existe-t-il en zone CFA? Contre laquelle faudrait-il réellement lutter?
Il est vrai qu’il fût un temps où, lutter contre l’inflation avait un sens économique. Dans les années 80, le taux d’inflation dépassait 13% en Occident (13,5% aux Etats Unis en 1981 et une hausse des taux à 20% l’avait fait baisser à 3,2%).
Nous vivons aujourd’hui un autre temps où, ces banquiers centraux qui acceptent une inflation proche de zéro et refusent une inflation qui accélère, font preuve d’une volonté de rester dans le formatage de l’école américaine.
Nous n’avons aucune raison d’avoir peur de l’inflation en Afrique car dans notre environnement économique, tout est à faire, et des investissements publics massifs feraient notre bonheur. Une lutte contre l’inflation n’apporte aucune avancée sur le terrain de la zone CFA, qui semble beaucoup plus impactée par la composante importée de l’inflation que par sa composante domestique. Entre 1945 et 1949, en pleine reconstruction, la France a connu une inflation de 50% au grand bonheur de ses enfants (après-guerre et début des trente glorieuses).
L’incitation des Etats de la zone CFA à se financer sur les marchés est venue boucler une boucle qui risque d’être infernale. La France ne peut pas inviter les pays de la zone CFA aux mêmes erreurs d’orientation qui lui ont coûté sa dette de plus de 2 000 milliards d’euros. Cette dette prend sa source après 1973 (premier choc pétrolier, fin des accords de Bretton Woods), lorsqu’elle avait été contrainte de se financer sur les marchés, sans oublier les effets de sa loi du 4 août 1993 qui a rompu définitivement son lien avec sa banque centrale de l’époque) ; la mise en vigueur de cette loi au premier janvier 1994 semble intégrer les raisons de la dévaluation du franc CFA intervenue la même année (à l’image d’une guerre des colonies connue de l’histoire).
Pour le financement de nos projets à court terme, peut-être, mais pour nos projets à long terme, nous n’avons pas besoin d’aller sur les marchés car il existe d’autres solutions comme la flexibilité monétaire. Aussi, en toute équité, le trésor français devrait même être acheteuse, en dernier ressort, des obligations émises par les Etats africains et contribuer ainsi à la baisse des taux d’intérêt en zone franc CFA.
Quelles réponses aux Africains qui appellent à la création d’une nouvelle monnaie ?
La monnaie est le reflet réel d’un prix pour l’économie de la zone associée. L’idée de créer une nouvelle monnaie (pour l’Afrique subsaharienne) est recevable car elle consiste exactement à élaborer un projet régional, visant à mettre un produit fini sur le marché mondial. En créant notre monnaie, nous allons ainsi réaliser un projet qui nécessite :
o une prise de conscience du peuple africain, qu’une zone monétaire doit être unique, indivisible et qu’une monnaie est un bien public générateur de liens sociaux et politiques ;
o une vision, une solidarité, un sens de la vérité, et une réelle conscience qu’on peut réussir ce projet
o une gestion en mode projet, tenant compte des contraintes de ressources, de budget et de temps ;
o un business modèle avec une étude de rentabilité très approfondie, tenant compte de tous les types de scénarios de catastrophes possibles, pour éviter de tomber dans le même piège que les Européens avec l’euro ;
o une souveraineté économique autour d’une convergence parfaite (monétaire, budgétaire, fiscale et sociale) ;
o Une monnaie à deux étalons : le premier en interne basé sur un panier de matières premières et le deuxième à l’international basé sur l’or (pas exactement dans un modèle chinois mais mieux adapté à nos réalités africaines) ;
o une acceptation d’énormes sacrifices en début de projet, car les autres ne nous laisserons pas les manettes ;
o un appel continuel à la communauté internationale, pour la convergence vers une stabilité monétaire.
Il faudra aussi éviter de faire les mêmes erreurs que les Européens avec l’euro. L’absence de référentiel commun en début de construction et l’absence d’institutions capables d’arbitrer les déséquilibres futurs sont à la source de tous les problèmes de la monnaie unique européenne. L’euro a même creusé le fossé entre ses pays membres et contribué à effacer leur dynamique connue avant les années 2000. L’euro a quinze années d’existence au cours desquelles elle n’a jamais réussi à représenter un bien public pour son peuple.
Le temps de réunir toutes ces conditions nécessaires à la réussite d’un projet de création d’une monnaie africaine, la zone franc CFA doit opter pour une réforme en profondeur de ses mécanismes de fonctionnement (principes et institutions), pour accéder à plus de souveraineté monétaire permettant des investissements publics, un développement de nos infrastructures, une réponse à nos besoins régaliens et une politique sociale conforme à nos réalités africaines.
Conclusion
Ils ont tous droits à des solutions pour répondre à leurs besoins et par tous les moyens, alors que nous avons droit à absolument rien si ce n’est prendre une part de plus en plus accrue à la solution de leurs problèmes. Par le temps, l’homme est en perdition, mais ce monde doit changer.
Depuis le début des indépendances, l’Afrique subsaharienne n’a pas encore entamé une réelle construction parce qu’elle ne bénéficie pas de flexibilité monétaire. Le franc CFA étant arrimé à une monnaie instable (pour ne pas dire malade), dans un contexte économique international instable, nous avons besoin d’une forte solidarité entre nous pour dessiner la représentation que nous souhaitons donner à notre monnaie. Il est nécessaire de mettre sur la table des discussions, l’ensemble des points ci-dessus pour permettre à la zone franc CFA d’accéder à un espace économique réel, dans lequel il sera possible d’appliquer des modèles au grand bonheur des économistes, et parler de PIB, de croissance et d’inflation. Ces discussions feront appel à des questions comme :
– peut-on partager ce marché avec tous nos partenaires malgré nos disparités économiques, budgétaires et contextuelles ?
– ne faudrait-il pas surveiller les prises d’intérêt de ces derniers dans l’accélération de la construction de nos pays qui serait un corollaire d’une telle situation ?
– accepterions-nous que l’économie, telle que conçue par les économistes occidentaux, soit une idéologie à laquelle les africains doivent se plier ?
Seulement, nous pouvons garder espoir en entendant le cri de certains français qui disent : «la volonté de protection contre les déprédations du marché prend une forme autoritaire et conservatrice ; pourquoi ne prend-elle pas, au contraire, la forme d’une vaste coalition progressiste œuvrant pour faire barrage à la concentration financière et réguler collectivement des mécanismes aboutissant à la précarisation des vies individuelles et au saccage de la nature (J.P. Spitz)».
ABDOU CISSE
Directeur Général de CISCONSULTING
ACTUARIAT ET FINANCE
ciscoc@cisafrikconsulting.com
CISCO CONSULTING
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