En cherchant l’Eldorado, ils se sont retrouvés avec la dure réalité de la vie d’un marchand ambulant à Marrakech. Ils, ce sont les marchands ambulants sénégalais établis au Maroc. Entre une police peu clémente, une improbable entrée en Europe, un consul qui se fait désirer, leur quotidien est peu enviable.
Soucieux de sortir la famille des difficiles conditions de vie, soif d’un avenir meilleur, ils ont décidé de quitter leur Sénégal natal pour aller à la découverte d’autres horizons, avec l’espoir de revenir un jour changer le décor social de leur famille. Si l’Europe était vu comme l’Eldorado, son accès difficile a poussé bon nombre de jeunes à revoir leurs rêves à la baisse et se contenter de pays maghrébins, pas de la dimension économique des pays européens, mais mieux que bon nombre de pays du continent. Hélas, certains rêves peuvent tout de suite se transformer en cauchemar. Et ce ne sont pas les nombreux jeunes sénégalais installés à Marrakech qui diront le contraire.
Il est 18 heures passées quand nous débarquons au Marché de Marrakech. Ici, on rivalise de créativité. Des signes habillés en tenue de sport aux faiseurs de miracle avec le serpent, on voit du tout. Leurs chansons se confondent avec la petite musique qui vient des cantines. Un véritable brouhaha qui n’a pas l’air de déranger personne. Dans ces va-et-vient incessants qui rythment le coin, les marchands ambulants sénégalais se font reconnaitre facilement. Tantôt ils forment de petits groupes de 3 ou 4, avant de se disperser avec un sourire qui cache bien des difficultés réelles. Originaire de Saint Louis, Libasse, la trentaine passée, est vendeur de lunettes à la place Jemaa elfna. Un des endroits les plus denses du coin. « S’il ne s’agit que du commerce, on s’en sort pas mal. Mais nous avons de sérieux problèmes avec les policiers marocains », se désole-t-il, la mine dépitée.
En effet, cette place bien que très prisée par les marchands ambulants, fait face à un poste de Police. Des voisins peu désirables, selon Libasse. « Ils peuvent à tout moment venir prendre tous nos bagages et les amener au Poste de Police, sans explications », explique Ablaye Ndiaye qui a grandi à Guédiawaye au quartier Las Palmas et qui s’active dans la vente de colliers et autres objets d’art. Et le drame avec la police marocaine, c’est qu’elle n’accepte pas d’explications ni de dialogue. Un modèle de rigueur? Pas forcément, du moins si l’on en croit Samba Dièye. Issu du quartier Notaire de Guédiawaye, il révèle que « certains ont vu leur marchandises récupérer par la Police et quelques jours après, les retrouver avec un autre vendeur », révèle-t-il.
Trouvée au cœur d’autres vendeuses marocaines, Gagnesiri, cure-dents à la bouche discute aisément et commence même à maitriser l’arabe, langue locale. Mais son air et son regard fixé sur nous montre bien ses origines sénégalaises. Sur sa table modestement rangée devant elle, on trouve des colliers, objets d’art et autres gadgets pour enfants. Un petit commerce qui se porte bien. « Les clients aiment ce que nous vendons, mais le souci c’est la Police. A tout moment, ils peuvent venir tout ramasser », dit celle qui a été victime de la mesure interdisant le Rond Point Sandaga aux marchands ambulants. « Je suis là depuis 2011, si je pouvais avoir la même place à Sandaga, peut-être je serai rentrée, même si je gagnerais moins, je serai au moins à côté de la famille », dit-elle avec beaucoup de dépits.
Apparemment indésirables, du moins aux yeux de la Police, les marchands contribuent pourtant beaucoup dans le secteur du commerce de ce pays. Selon Samba, tous les produits sont achetés dans des magasins détenus par des Marocains, « souvent un magasin peut vendre jusqu’à un millions rien qu’aux marchands sénégalais », dit-il.
Une solidarité bien sénégalaise
Même s’ils sont conscients que le commerce ambulant n’est pas autorisé, les marchands disent ne pas avoir le choix. « Nous sommes venus ici espérant trouver du boulot, ce n’est pas facile, même si certains l’ont réussi, nous on se débrouille avec ça, en attendant d’avoir mieux », reconnait-il. Pour la location de l’appartement, le prix peut aller jusqu’à 3000 dirhams dit notre interlocuteur, soit un peu moins de 180 000 FCFA. « Mais comme on se cotise, on ne le sent pas », se réjouit-il. Mais la solidarité va plus loin que ça. Si l’on en croit Samba qui fait presque office de guide, il est arrivé qu’un compatriote ait été dépouillé de toutes ses affaires, mais certains ont organisé une collecte auprès des autres compatriotes pour lui trouver un fond de départ. Des scènes comme ça sont spontanées
Avec les quelques miettes qu’ils gagnent, les Sénégalais qui partagent la même chambre se cotisent pour le dîner, même si le déjeuner c’est chacun pour soi. « La chance qu’on a c’est que la nourriture n’est pas cher ici », reconnait Samba.
Par ailleurs, même si la cohabitation avec les Marocains n’est pas très compliquée, il peut arriver que des scènes de racisme viennent rappeler aux ambulants qu’ils ne sont pas forcément les bienvenus. « Souvent quelqu’un te glisse des maux qui te rongent le cœur, mais tu n’y peux rien, ils sont chez eux », se désole Ablaye.
Certains vont plus loin. Selon Samba Dièye, un de leurs camarades a été récemment accusé de viol en plein jour, alors que le marché était bondé de monde. « Il a passé la fête de Tabaski en prison il y a passé un mois », révèle-t-il.
Une porte d’entrée vers l’Europe devenue peu probable
Si dans un passé récent le Maroc servait de porte d’entrée vers l’Europe, l’Espagne plus précisément, avec près de 2 300 migrants qui ont réussi à franchir la frontière de Melilla en 2014 pour plus de 20 000 tentatives de passage en force, selon les chiffres de la Guardia Civil (les gendarmes espagnols) les tentatives ont fortement baissé. Le dispositif de sécurité a été renforcé, contraignant beaucoup de candidats à demeurer plus longtemps que prévu au Maroc…contre leur gré. Mais il ne s’agit que d’une patience qui permet de mieux maitriser les circuits. « Il y a toujours des gens qui passent par d’autres circuits, parfois c’est plus cher, mais avec un peu de patience on peut le faire. Mais il y a eu beaucoup de nos compatriotes qui ont été bernés par des passeurs que l’ont croyait crédibles, certains ont même failli devenir fou, parce qu’ils ont mis toutes leurs économies, parfois plus de deux millions », révèle ce sénégalais sous le couvert de l’anonymat.
Un Consul qui se fait désirer
Titulaire d’une carte de séjour, Samba Dièye est très sollicité par ses compatriotes quand ils ont des bisbilles avec les policiers. Mais selon lui, s’il y a un aspect que lui et ses amis déplorent, c’est le manque d’assistance du consul. « Par exemple, pour notre ami qui a été accusé de viol, même les Marocains qui étaient sur place étaient étonnées, je suis sûr que si notre représentant avait agi il ne serait pas embarqué », déplore-t-il.
Ne sentant pas la présence de la représentation, beaucoup de nos compatriotes préfèrent ne pas acheter la carte consulaire. « Ils préfèrent mettre beaucoup plus de sous pour la carte de séjour que de payer 25 000 FCFA pour la carte de consul », poursuit-il. Non sans demander au Consul de se rapprocher davantage de ses concitoyens.
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