A l’entendre parler de finance islamique, on le prendrait facilement pour un expert de la City à Londres ou un banquier de Doha. Il n’en est rien. Docteur Mamadou Oumar Dia est… pharmacien. Au début des années 2000, l’homme qui s’intéresse de plus en plus à la finance dans l’islam dévore les ouvrages qui traitent du sujet, va se former à l’étranger pour en devenir aujourd’hui un spécialiste des plus pointus sur la place de Dakar. Sukuk, waqf , mousharaka, Takaful, mourabaha n’ont plus de secret pour lui. C’est la somme de ses recherches qu’il nous livre dans « La finance islamique un levier du développement ». Dans l’entretien qui suit, il nous montre comment ce mode de financement est innovant et capable de mener au progrès.
Résurbusiness: Dans votre livre, on voit que l’islam n’est pas contre la propriété privé en même temps, il demande beaucoup de solidarité et de justice sociale. Ni libéral, ni socialiste : l’islam est-il Centriste ?
Dr Mamadou Dia: En droit musulman, la protection des biens est considérée comme faisant partie des droits fondamentaux de l’homme, au même titre que la protection de la vie et des liens de parenté. D’ailleurs dans il est dit dans la Sourate n°4, Al Nissâ au verset 29 : « Croyants ! Que les uns ne spolient pas les biens des autres d’une manière déloyale ». Ce verset renseigne sur l’acceptation de la notion de biens, la propriété portant sur ces biens et également le respect de cette propriété. Néanmoins cette propriété est encadrée afin qu’elle ne nuise pas mais bien au contraire, qu’elle profite à la communauté. D’où cette idée solidarité et compassion que l’Islam promeut activement entre l’homme et son prochain. Cette solidarité se décline sous forme de Zakat et de sadaka. Le premier revêt un caractère obligatoire tandis que le second est laissé à l’appréciation du croyant. Il convient de souligner que la Zakat est le troisième pilier de l’Islam et vient donc avant le jeune du mois de ramadan et le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam. Et l’exhortation à la charité volontaire (sadaka) revient tout au long du texte coranique au même titre que la prière. C’est dire que l’Islam transcende toutes ces idéologies qui finalement ne sont que partiales, partielles et parcellaires.
Reussirbusiness: Expliquez-nous un peu le Takaful comment cela marche ?
Dr Mamadou Dia: Pour ce point précis, on en revient encore à la notion de responsabilité de l’homme et celle de l’invite à la sollicitation de sa raison. Loin de tout fatalisme que certains seront tentés de convoquer par paresse intellectuelle ou par paresse tout court, l’Islam incite à prendre des mesures conservatoires visant à réduire et/ou à mitiger les risques commerciaux et civil). Quant à la mise en œuvre d’un système d’assurance islamique communément appelé Takaful, le législateur veille à ce que les contrats ne comportent aucun élément de spéculation (maysir) et de d’incertitude (gharar). Ce qui fait que le takaful revêt la forme d’une coopérative ou d’une mutuelle. Rappelons que Takaful en arabe signifie solidarité ou mutualité. Dans ce système, les assurés créent un fonds commun de couverture contre des risques spécifiques, et à ce titre font partie du système propriétaire.
Reussirbusiness: On découvre aussi en vous lisant que l’Islam n’est pas opposé aux principes des Fonds d’investissement ?
Dr Mamadou Dia: Bien au contraire le système financier islamique favorise la création de ces fonds pour mobiliser des capitaux significatifs qui viendraient à féconder et le travail et le savoir-faire et les idées innovantes en vue de créer de la valeur.
Reussirbusiness: Les Sukuk sont -ils comparables aux obligations ? Quelle est leur différence ?
Dr Mamadou Dia : Les Sukuk épousent la forme du bon obligataire. D’ailleurs ils sont communément appelés obligations islamiques. Néanmoins deux principes essentiels spécifient le Sakk (singulier de sukuk) de l’obligation. D’abord il doit nécessairement être adossé à un actif sous-jacent ensuite la rémunération ne peut en aucun cas être fixée à l’avance mais plutôt corrélée à la performance financière propre de l’actif sous-jacent.
Reussirbusiness: Les Subprimes en 2010 aux Etats-Unis a ébranlé le système financier international. A l’époque des dettes ont été vendues créant ainsi d’autres dettes et une spéculation sans fin. Pourquoi seule la finance islamique fut épargnée par cette crise ?
Dr Mamadou Dia: Les subprimes sont des instruments de couverture de risques qui ont fait l’objet de forte spéculation. Il faut comprendre que dans les marchés financiers, il n’est pas besoin de disposer du montant des actifs commercialisés pour en être acteur. Ceci est vrai pour les matières premières mais également pour les titres financiers et les primes d’assurance si bien qu’il y a une disjonction entre les flux financiers et les actifs réels censés les représenter.
Si la finance islamique demeure résiliente face à ces crises financières spéculatives, c’est simplement que le marché financier islamique ne peut opérer en dehors de l’existence d’actifs sous-jacents.
Réussirbusiness: Aujourd’hui pourquoi des pays comme le Sénégal tarde à adopter ce modèle ?
Dr Mamadou Dia : C’est vrai que l’Afrique francophone en général a tardivement accéder à l’information et à la formation. D’ailleurs à ce jour l’essentiel de la production intellectuelle dans ce domaine est en anglais et en arabe. Mais il faut se réjouir de ce que le Sénégal soit parmi les pionniers en Afrique francophone. Le projet « sukuk Sunugal » d’un montant de 100 milliards FCFA, lancé en 2014, a été couronné meilleur projet africain pour l’année 2015 par IFN Award de Redmoney.
Reussirbusiness: Dans votre livre, vous montrez pourtant comment le Sénégal peut par exemple construire ses infrastructures par la finance islamique. Pourquoi ces possibilités sont négligées alors que beaucoup de pays non musulmans comme l’Angleterre, l’Allemagne intègrent désormais les financements islamiques ?
Dr Mamadou Dia: Le Sénégal, comme beaucoup d’autres pays africains, doit nécessairement effectuer des investissements massifs dans les infrastructures de transport et d’énergie. Or ces deux secteurs sont particulièrement indiqués pour les investisseurs qui souhaitent développer des projets en partenariat public-privé (PPP) avec les Etats ou les municipalités dans le cadre de conventions B.O.T (Build –Operate- Transfert). Et ces types de convention conviennent parfaitement au modèle de la finance islamique spécialement dans le cadre d’émission de Sukuk. D’autant que le recours à l’investissement participatif est un des fondements de cette industrie financière islamique.
Maintenant s’agissant des pays que vous avez cités, il faut savoir qu’ils ont une longue tradition des conventions BOT propice à l’épanouissement de marché de Sukuk. Mais il est heureux que le Sénégal se soit doté d’outils juridiques à la hauteur des enjeux avec la loi n°2002-550 du 30 mai 2002 relative au BOT et que sont venus renforcer les directives n°4 et 5/cm de l’UEMOA en 2004.
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