Les banques ont été récemment interpellées par les autorités publiques pour baisser les taux d’intérêt jugés trop élevés. Qu’en est-il vraiment ?
Vous faites référence certainement aux propos du Président de la République, il y a quelque temps déjà…
Le niveau des taux d’intérêt est d’abord le reflet de l’environnement macro- économique en général. On a l’habitude d’utiliser des comparateurs ou benchmarks pour juger de la cherté des taux d’intérêt. Or, si on compare l’Uemoa avec les pays africains comme le Nigeria, le Ghana ou le Kenya, pour ne citer que ceux-là, où les taux d’intérêt directeurs dépassent les 15%, nous pouvons nous considérer comme plutôt bien lotis. Peut-être se réfère-t-on aux pays occidentaux où les taux d’intérêt directeurs sont proches de zéro. Ce qui fait rêver… Encore faudrait-il faire observer que les situations économiques sont loin d’être les mêmes. Les pays occidentaux sont train de se débattre pour sortir de la spirale déflationniste dans laquelle les taux d’intérêt ont perdu de leur pertinence en tant que instrument de politique monétaire au profit de mesures dites non-conventionnelles. Une situation qui contraste singulièrement avec celle de l’Uemoa et du Sénégal en particulier, où la croissance est positive…
Pourtant, la Banque Centrale, quant à elle, dit avoir suffisamment baissé ses taux directeurs et aimerait voir les banques en faire autant. Y a-t-il des explications à la rigidité de la baisse des taux ?
En effet, on assiste à une baisse tendancielle des taux d’intérêt depuis quelques années. Une étude récente de la Bceao indique que les banques du Sénégal appliquent les taux d’intérêt les moins chers de la zone Uemoa.
Cela étant, qu’il puisse y avoir décalage entre l’ampleur de la baisse des taux directeurs et celle de la baisse des taux appliqués à la clientèle des banques, cela est fort possible et s’explique par les rigidités liées aux imperfections et risques propres à l’économie qui sont de nature opérationnelle, juridique, fiscale, etc.
Bien entendu, cette situation s’analyse, de façon différenciée, selon les banques en fonction de la structure de leur portefeuille, de leur recours ou non au refinancement de la Banque Centrale ou du fait du simple jeu de la concurrence et on peut dire qu’au Sénégal, la concurrence entre banques fonctionne vraiment sans entraves et exerce une forte pression sur les taux d’intérêt et le prix des services.
En quoi l’environnement des affaires, notamment le fonctionnement de la justice, la fiscalité, etc. joue-t-il sur le niveau des taux d’intérêt ?
Les taux d’intérêt appliqués intègrent généralement trois éléments : le coût de la ressource, la marge de la banque et la prime de risque. Cette dernière couvre un vaste champ de risques liés à l’environnement des affaires.
Les banques rencontrent beaucoup de difficultés avec les décisions de justice dans les différends qui les opposent avec les clients qui ne respectent pas les engagements et dans l’exécution des garanties. C’est un élément de risque incompressible dans la composition du taux d’intérêt tant les dysfonctionnements existent. Concernant la fiscalité et les coûts connexes, il faut souligner la cherté des coûts d’enregistrement des actes, les frais de nantissements, les taxes, les frais de notaire et d’huissier, etc., exprimés en pourcentage des montants de crédit et qui contribuent énormément à renchérir les taux de crédit. Cela n’est pas du ressort des banques, mais s’impose à elles…
Que répondez-vous à ceux qui disent que les banques sont trop frileuses, qu’elles ne financent pas l’économie nationale ?
Les critiques sont faciles… Les chiffres montrent une toute autre réalité. La croissance moyenne des crédits à l’économie est de l’ordre 15 à 17% par an depuis plusieurs années. Je rappelle que, dans le même temps, les risques n’ont pas diminué, car l’environnement ne s’est pas amélioré, bien au contraire ! Ce que les banques redoutent, c’est moins le risque de crédit pour lequel elles disposent des outils et des compétences de gestion que les dysfonctionnements de la Justice face à des cas de délinquance financière avérés. L’impunité ambiante et l’absence de protection juridique de l’activité de crédit ne sont malheureusement pas de nature à réduire le recours aux garanties réelles qui sont chères et dont l’exécution pose d’ailleurs problème. Il en va aussi de la crédibilité des banques en matière de bonne gestion si elles ne prenaient les dispositions idoines pour se prémunir.
Pourtant, les banques gagnent beaucoup d’argent…
Globalement, les banques gagnent de l’argent dans l’absolu. Mais, en termes de contribution par rapport au PIB, il y a encore beaucoup de progrès à faire. La Sonatel, à elle seule, distribue plus de dividendes que les résultats cumulés des banques de l’Uemoa. Il faudrait que les banques parviennent à une contribution de l’ordre de 20 à 25% du PIB pour jouer le rôle véritable de locomotive de l’économie qui leur est dévolu en raison de la transversalité de leur fonction. Pour cela, il serait salutaire que les banques soient au moins aussi profitables que les entreprises qu’elles financent. Ce ne serait que logique…
Le taux de bancarisation reste cependant très faible. Pourquoi ? A votre avis, y a-t-il moyen de l’améliorer significativement ?
Le taux de bancarisation reste faible parce que, dans notre réflexion, on le limite à la seule action des banques, alors qu’il est fondamentalement dépendant du niveau de développement et nécessite la prise en compte de nombreuses autres considérations, telles que la taille de la population active, le niveau des revenus, leur régularité, le niveau d’éducation de la population, surtout la volonté des gens à ouvrir un compte, etc. Toutefois, depuis plusieurs années, les banques se sont adaptées aux besoins de la clientèle et aux exigences économiques et technologiques en multipliant l’ouverture d’agences de proximité, des guichets automatiques de banque et les initiatives facilitant l’ouverture des comptes et l’utilisation des moyens de paiement, etc. Mais malgré tout, il y a des limites à ce que les banques peuvent faire pour faciliter l’accès aux comptes et services bancaires. Il faut aussi l’implication des Autorités pour imposer, par exemple, que les services publics soient payés à travers des comptes bancaires comme c’est le cas dans plusieurs pays. Ce qui, d’ailleurs, permettra de donner un contenu au droit au compte pour chacun.
Votre opinion sur le nouveau Code Général des Impôts et vos suggestions pour une meilleure prise en compte des préoccupations de votre secteur ?
Un Code des impôts définit les moyens et conditions des prélèvements fiscaux. Ce n’est pas un instrument de politique économique en tant que tel. C’est une politique fiscale qui permet de relancer une économie et encore pas elle seule… Le Code n’en est que la matérialisation.
Ce qui gêne habituellement les banques et les entreprises dans leur globalité, c’est l’imprévisibilité et le caractère répressif du Code dans son application. Les montants et motifs de redressement fiscal, à géométrie variable, ont de quoi effrayer tout investisseur, lequel exige, avant tout, la clarté et la stabilité des règles de jeu. Tout le monde y passe… Ce qui pose peut-être plus un problème de fonctionnement du système que de la citoyenneté des entreprises qui reste, cependant, un problème et personne n’en disconvient. Peut-être convient-il de se demander si l’Administration fiscale ne concentre pas trop de pouvoirs en ce qu’elle produit les textes et les interprète, met en œuvre, contrôle, sanctionne et arbitre même les différends qui l’oppose aux citoyens-contribuables. Nous sommes d’avis qu’il faille quelque chose de plus équilibré dans l’intérêt du pays. Nous vivons parfois des situations assez cocasses en banque… On nous demande la saisie des comptes d’entreprises qui viennent de bénéficier de crédits. Reverser les fonds reçus du crédit à l’Administration fiscale expose immédiatement l’entreprise et la banque. Ne pas le faire expose la banque à des sanctions. A grande échelle, c’est un risque pour tout le système.
L’APBEF, que vous présidez, ne semble pas aussi dynamique que ses homologues, par exemple la FSSA des Assureurs… Est-ce une simple perception et quels sont vos plans pour inverser la tendance ?
C’est une réalité qui s’explique par le fait qu’il y a à peine 10 ans, l’APBEF réunissait un petit nombre de banques. Depuis lors, le nombre a doublé, voire triplé. Ce qui met plus de pression à s’organiser. Notre approche, qui a reçu d’ailleurs la bénédiction des autorités de tutelle, a été de mettre sur pied une véritable structure organisationnelle qui puisse prendre en charge les activités de l’Association au quotidien et de privilégier la démarche participative dans laquelle chaque banque aura un rôle à jouer. Nous pensons pouvoir ainsi donner, sous peu, plus de visibilité à nos actions.
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