Un an jour pour jour que des Talibés périssaient dans un incendie à la Médina. Notre confrère Thomas Ayissi pose le débat autrement.
Les enfants mendiants communément appelés talibés se sont virtuellement invités à l’atelier précédant la remise du prix Nobel de la paix à la représentation sénégalaise de l’Union Européenne lors de la journée des droits humains le 10 décembre 2012 sur l’île de Gorée. Les questions principales étaient:
-Que faire pour en finir avec la mendicité des enfants au Sénégal?
-Pourquoi des initiatives anti mendicité infantile ont échoué?
Faut-il interdire la mendicité des enfants au Sénégal? A chaque camp, ses arguments
Parmi la trentaine de participants réunis dans les locaux de l’institut de Gorée: certains ont estimé que les lois sont faites pour être appliquées. A ce titre, Marie Delphine Ndiaye, présidente de l’association des juristes Sénégalaises a rappelé la loi d’orientation sur l’éducation imposant la scolarisation jusqu’à 15 ans. Une autre femme, Salimata Gaye Diagne, directrice nationale de SOS
village d’enfants a estimé qu’il faut abandonner certains aspects négatifs de la culture sénégalaise.
Avis non partagé par Me Boukhounta Diallo qui a rappellé que la mendicité a des causes économiques. Selon l’avocat, plus le fossé entre riches et pauvres s’élargira, plus les familles les plus démunies vont envoyer leurs enfants mendier dans les rues de Dakar et de certains centres urbains sénégalais. Après avoir rappelé que 30% de ces enfants mendiants viennent de la Guinée Conakry et 30% du Mali, Me Boukhounta Diallo a convoqué les disparités économiques entre les 14 régions sénégalaises pour renforcer son argumentaire. Selon lui en Casamance où la terre est plus fertile, il n y a pratiquement pas de talibés. Toujours selon Me Diallo, les droits de l’homme peuvent être résumés en le droit à la sauvegarde de la dignité humaine. Ainsi, au lieu de combattre la mendicité, il faut s’attaquer à ses causes profondes qui sont économiques.
Prenant la parole, Sadikh Niass, chargé de programme à la RADDHO (Rencontre Africaine pour la Défense des Droits Humains), a estimé que dans le cadre de la lutte contre la mendicité des enfants le gouvernement sénégalais a commis une erreur en élaborant la loi de 2005: “inclure dans un même texte la lutte contre les migrations clandestines, l’interdiction de l’exploitation des enfants par la mendicité et l’interdiction de la traite des enfants a rendu la loi difficilement applicable”. Sadikh Niass plaide pour un texte plus réaliste, se focalisant par exemple sur la traite des enfants, concept plus facilement explicable aux des familles religieuses sénégalaises.
Talibé, un terme chargé à manier avec précaution
Continuant les échanges, les juristes, membres d’organisations non gouvernementales, représentants du ministère de l’Intérieur, de la Justice ont estimé que l’usage du mot “talibé” suscite immédiatement une levée de boucliers. Une loi protégeant les talibés est souvent perçue comme une attaque contre les fondamentaux de l’islam. Perception renforcée par le fait que dans des zones rurales, des écoles coraniques dispensent des enseignements aux talibés tout en respectant leur dignité humaine. Le daara de Coki dans la région de Louga qui a formé de nombreux cadres de l’administration sénégalaise est régulièrement cité en exemple même s’il manque cruellement de moyens financiers.
Toujours pour éviter d’utiliser le mot talibé, Isabelle de Guillebon, directrice du samu social
Sénégal a proposé de rédiger de lois contre l’exploitation économique des enfants. Selon Isabelle de Guillebon, un texte insistant sur ces mots aurait plus d’alliés dans la population sénégalaise.
L’urgence de la définition d’un cadre juridique régissant l’enseignement coranique a aussi maintes fois été évoquée. Selon plusieurs intervenants dont la pensée a été résumée par le modérateur
Victor Madeira Dos Santos, conseiller politique auprès de la délégation de l’Union Européenne en République du Sénégal, le législateur doit fixer un cahier des charges précis et délivrer des agréments. Ainsi chaque parent désirant envoyer son enfant dans une école coranique pourra vérifier si le daara choisi respecte la loi.
L’Union Européenne dans une singulière posture
Interpellée sur ce qui semble être une bataille entre des sénégalais soucieux de leurs valeurs culturelles et ancestrales et la pression moderniste et humaniste de l’Union Européenne, Dominique Dellicour, ambassadeur et chef de délégation de l’Union Européenne a affirmé que personne ne dicte ses positions. Selon la diplomate, le partenariat entre le Sénégal et l’Union Européenne permet à chaque partie d’exploser ses positions et ses perceptions dans un esprit de dialogue, seul moyen de préserver la paix.
Rappels lexicaux, historiques et contextuels
Le mot talibé vient de l’arabe “talib” littéralement celui qui cherche, celui qui demande. Le talibé est un enfant de 5 à 15 ans, confié à un maître coranique devant lui apprendre les bases de l’islam. Les écoles coraniques sont appelées daara au Sénégal. Elles ont entamé une mutation entre 1980 et 1990 à cause de la crise économique qui a provoqué un déplacement massif des populations vers les villes en général et la capitale Dakar en particulier. Conséquence selon respectivement le partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue (PARRER) et Human Rights Watch: entre 50 000 et
76 000 enfants mendient sur l’ensemble du territoire sénégalais.
Ces enfants vivent une situation proche de l’esclavage selon des médias internationaux tels RFI ou France 3 qui ont consacré des débats et des reportages au sort de ces talibés contraints de rapporter à leur enseignant parfois appelé marabout entre 0,75 et 1 € par jour dans un pays où plus de 46% de la population vit avec moins de 1.50 € par jour selon une étude de l’agence nationale de la statistique publiée mi 2012. Les talibés sont battus s’ils ne rapportent pas les sommes demandées. Ces enfants de 5 à 15 ans vivent à 20 ou 25 dans des pièces de 10 à 12 mètres carrés mal aérées dépourvues de sanitaires, d’électricité et d’eau courante. Le 31 mars 2012 une coalition d’organisations non gouvernementales dont anti slavery international a demandé au président Macky Sall “délever au rang de priorité la protection de ces 50 000 enfants contraints de mendier”.
La journée nationale du talibé a été crée en 1996 sur conseil de l’UNICEF. Lors de cette journée des consultations médicales, des repas et des activités récréatives sont offertes aux talibés par les ministères de l’Enfant, de l’Action Sociale et la centaine d’organisations non gouvernementales accueillant chacune entre 25 et 200 talibés ayant fui les coups de leurs maîtres. En 2005 le gouvernement sénégalais a promulgué une loi criminalisant le fait d’obliger d’autres personnes à mendier pour son propre profit financier. En 2010, sept maîtres coraniques ont été arrêtés en vertu de cette loi mais le gouvernement a dû reculer face à la désapprobation populaire. Il faut noter que donner l’aumône (10% de ses revenus) est une prescription islamique et que de nombreuses pratiques culturelles imposent de “donner pour recevoir”. La personne recherchant des faveurs ou une promotion doit au préalable, donner de l’argent, du mil, des bougies à des mendiants.
Il y a une contradiction apparente entre la majorité de la population adulte musulmane (95% des 12 millions de sénégalais) qui estime que mendier inculque des valeurs telles l’humilité et l’arsenal des lois protégeant l’enfant et inscrites dans la constitution dont le préambule: “affirme
– son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux Droits de l’ Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981.”
Par Thomas AYISSI
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