Pour avoir vécu l’histoire de la BRVM, de l’intérieur, avant sa création jusqu’à aujourd’hui, quel regard introspectif jetez-vous sur la grande aventure que fut la création, l’animation et le développement de cette Bourse communautaire ?
En juin 1996, la BCEAO, à qui les Etats avaient confié les études et les travaux de conception de la future Bourse communautaire a réuni un groupe constitué d’un représentant de chaque pays de l’Union, à qui elle a remis les «plans» quasi- architecturaux qui devaient mener au démarrage de la BRVM. J’ai eu l’honneur et la chance de représenter le Sénégal. Suite à la constitution de la société d’exploitation en décembre 1996, le nouveau Conseil d’Administration a créé un Comité Technique de démarrage dont je faisais partie. Les autorités de l’UEMOA nous ont alors donné un délai de 6 mois pour aboutir. Ce dont je me souviens le plus précisément était la formidable pression de temps qui pesait sur nos épaules. En fait, le délai était beaucoup trop court. Prenons l’exemple de la dématérialisation des titres, c’est-à-dire transformer les certificats d’actions «papier» des sociétés cotées en valeurs scripturales auprès du Dépositaire Central. Cela impliquait de faire adopter par les dites sociétés, des projets et le vote par leurs Assemblées Générales Extraordinaires de résolutions y afférentes. Rien que cela prend au moins 6 mois et nous n’avions pas moins de 37 sociétés à traiter. Nous avons finalement démarré la Bourse 18 mois plus tard, le 16 septembre 1998.
En ce qui concerne l’animation et le développement de la BRVM, les introductions en Bourse de la Sonatel en 1998 et de Ecobank en 2006 ont joué un rôle primordial de par leurs volumes de transactions, leurs capitalisations et leurs liquidités. Enfin, les fonds d’investissement internationaux, surtout anglo-saxons, ont apporté beaucoup de valeur à la BRVM.
Pourquoi malgré toutes ces prouesses, vous n’arrivez pas encore à faire exploser la Bourse régionale, à l’image de ses autres consœurs africaines ou internationales ?
Il y a 3 grands critères pour mesurer les performances d’une Bourse, à savoir : le nombre d’introductions, la capitalisation et le volume de transactions. Entre 2008 et mars 2013, il y a eu, sur les 27 Bourses africaines, y compris Johannesburg et Lagos, environ une soixantaine d’introductions en Bourse. C’est très peu, mais il faut bien dire qu’une introduction en Bourse n’est pas un phénomène banal. C’est tout simplement le stade le plus achevé du statut d’une entreprise.
Quand on dit, dans le langage courant, «telle société est cotée en Bourse», cela veut dire que sa crédibilité est établie et ne se discute pas. En 15 années d’existence, 8 sociétés sont entrées à la BRVM et 6 en sont sorties volontairement ou ont été radiées, notamment pour cause de fusion entre 2 entités qui n’en forment plus qu’une.
La capitalisation boursière du marché des actions a clôturé l’année 2012 à 4 031 milliards FCFA, soit une progression de 27 % et celle du marché des obligations a terminé l’année avec une hausse de 19% avec une capitalisation de 832 milliards FCFA. Enfin, la BRVM a servi d’interface à des transactions d’une valeur totale de 146 milliards FCFA (+79% par rapport à 2011) pour 41 millions de titres échangés.
Que répondez-vous à ceux disent que la BRVM est trop timorée, les rendements sont trop encadrées, il n’y a pas de grosses plus-values, bref, on n’y gagne pas de l’argent ?
Vous, les journalistes avaient tendance à présenter l’activité boursière comme dépendant d’une seule entreprise, la Bourse. En réalité, ces résultats sont des agrégats statistiques. Prenons, par exemple, le «rendement». Ce n’est pas la BRVM qui fixe le niveau de dividende de l’action Sonatel, c’est l’Assemblée Générale de ladite société. Ainsi donc, le rendement moyen des actions cotées dans une Bourse donnée résulte des décisions de distribution de dividendes de chaque entreprise concernée par la cote. C’est la même chose pour les plus-values, ce sont les investisseurs qui décident d’acheter telle ou telle action à un prix supérieur à son cours actuel parce qu’ils pensent que l’action va monter. Notre travail, c’est d’optimiser ces opérations sur les plans réglementaire, technique et commercial.
Maintenant, je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites que les rendements des actions cotées à la BRVM sont faibles. Si par exemple, vous avez 25% de rendement sur une action donnée, dans un contexte inflationniste de 23%, votre rendement réel ne sera que de 2%. A la BRVM, les rendements sont de l’ordre de 10% avec une l’inflation moyenne en zone UEMOA qui tourne autour de 2,5%, ce qui fait un rendement réel de 7,5%. Ce qui est une très bonne performance sur les plans africain et mondial.
Que pensez-vous il faudrait faire pour mobiliser davantage l’épargne des ménages, dans notre sous-région, où la consommation semble être plus avantagée ?
Là encore, le fait de s’astreindre à épargner est une démarche individuelle, personnelle. Bien sûr, il y a des facteurs sociaux et culturels qui ont leur importance. Par exemple, on épargne davantage au Benin et au Togo qu’au Sénégal car on compte plus sur soi-même pour faire face aux difficultés financières que sur la solidarité des parents et amis. Dans le cas spécifique de l’épargne en Bourse, les épargnants en Bourse ont besoin d’être rassurés. Il est important de rassurer individuellement les particuliers qui investissent en Bourse ou qui désirent le faire. Le langage boursier est souvent difficile à comprendre car dès qu’on parle de Bourse dans la presse, on parle d’agrégats économiques et financiers que peu de gens comprennent. En faisant un parallèle avec le monde bancaire, chacun sait qu’on n’a pas besoin de comprendre les agrégats de la Banque Centrale pour ouvrir un compte dans une banque commerciale pour commencer à épargner. C’est la même chose avec le système boursier. Ce n’est pas nécessaire de comprendre les agrégats boursiers de la BRVM pour ouvrir un compte dans une Société de Gestion et d’Intermédiation (SGI) et commencer à placer son épargne avec les conseils de la SGI.
Après la «privatisation à succès» de Sonatel par le Marché, toutes les autres entreprises publiques, qui ont été privatisées, l’ont été dans des conditions pas très transparentes, donc à ce niveau, l’Etat a failli à ses promesses. Que faudrait-il faire pour inverser la tendance et faire jouer aux Etats leur véritable rôle dans ce domaine ?
La Bourse de Casablanca, la 4ème plus importante en Afrique, s’est développée principalement par l’apport des programmes de privatisation, initiés par l’Etat marocain. Au lendemain de sa création en 1998, la BRVM était censée rendre possibles et transparentes les Offres Publiques de Vente (OPV) de titres d’entreprises publiques récemment privatisées et d’offrir un marché secondaire pour leur échange. Depuis 1998, les programmes de privatisation nationaux ont été malheureusement fortement ralentis. Seules la SONATEL, opérateur des télécoms du Sénégal et l’ONATEL du Burkina Faso ont été privatisées par le canal du marché financier puis inscrites à la cote de la Bourse régionale.
En outre, la pratique des privatisations révèle qu’une fois retenu, le partenaire stratégique, nouvel actionnaire majoritaire, décide volontairement ou pas de l’introduction de la société à la cote. Or, si l’opération de privatisation ne contient pas une clause de cession partielle des titres sur le marché financier et la cotation en Bourse, l’acquéreur ne s’oriente plus vers le marché financier et conserve la totalité des titres cédés par l’Etat. En conséquence, le contrôle, précédemment exercé par l’Etat, est transféré à un actionnaire majoritaire privé unique. On passe donc souvent d’un monopole public à un monopole privé, ce qui n’est pas le but recherché par la privatisation.
Pourtant, les Bourses sont susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la gestion des participations publiques, l’enjeu étant de permettre aux Etats de se désengager à terme de ces entreprises tout en réalisant des plus-values substantielles et favoriser le développement de l’actionnariat populaire.
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