Dans cette interview exclusive accordée à Réussir, il s’exprime sur les impacts de ces dispositions pour asseoir les bases d’un marché des assurances plus dynamique en Afrique.
Il revient également sur les faits marquants du secteur et, par ricochet, ouvre une large fenêtre sur le Sénégal en perspective des découvertes de gaz et de pétrole et les enjeux que cela constitue pour le secteur des gestionnaires de risques. Entretien !
L’actualité brûlante est l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions réglementaires décidées par la Conférence interafricaine des marchés de l’assurance (CIMA) à la date du 31 mai 2019 pour les compagnies d’assurances de la zone. Que pensez-vous de cette décision du Conseil des ministres des Finances de la zone, intervenue en avril 2016 ?
Je pense que c’est une bonne décision qui s’inscrit dans l’objectif du régulateur de promouvoir un marché consolidé et intégré, animé par des acteurs de taille satisfaisante, aptes à délivrer en temps et en heure les services pour lesquels ils ont été agréés. L’image négative du secteur des assurances découle souvent de l’incapacité d’acteurs, dont la plupart sont de toute petite taille, à couvrir leurs charges de gestion et à payer les sinistres et prestations à bonne date.
L’effectivité de cette mesure de relèvement du capital minimum des sociétés d’assurances de 1 à 3 milliards de FCFA, ce 31 mai 2019, puis à 5 milliards de FCFA en 2021, semble bien engager le secteur vers une nouvelle dynamique. Quels sont les enjeux réels de cette mutation ?
« Les enjeux de cette mutation consistent à donner un souffle nouveau au secteur des assurances de la zone CIMA à travers la recherche de la taille critique des acteurs. Pour mémoire, le principal objectif recherché à travers la réforme était le renforcement de la solidité financière des compagnies d’assurances pour mieux faire face aux défis de développement du secteur. Comme je l’ai toujours soutenu, la solvabilité et la crédibilité d’une société d’assurance sont tributaires du niveau de ses fonds propres. Par conséquent, cette augmentation du capital des Sociétés anonymes d’assurance et du fonds d’établissement des Mutuelles d’assurance permettra aux acteurs de mieux jouer leur rôle, à la fois, de protecteur des biens et des personnes, et d’investisseur institutionnel.
Pensez-vous que cette réforme va pouvoir changer fondamentalement le visage de l’assurance africaine si les pleins effets sont ressentis ?
Si les effets escomptés de la réforme sont atteints, cela marquera, à coup sûr, un nouveau départ pour le secteur des assurances de la zone CIMA. En effet, en marge des facteurs d’ordre culturel et socioéconomique, le principal frein au développement de l’Assurance dans la zone a toujours été l’étroitesse des marchés, la taille des exploitations et la faiblesse des moyens dédiés à l’innovation et à la recherche. Mieux capitalisées et plus concentrées, les sociétés pourront certainement consacrer les moyens financiers et humains nécessaires à l’amélioration de la densité et du taux de pénétration de l’assurance dans la zone CIMA. Cette trajectoire a été empruntée par d’autres marchés, le Maroc notamment, elle est actuellement explorée par des pays comme le Nigeria et le Ghana qui viennent d’augmenter de façon significative les exigences de fonds propres des entreprises d’assurance, en accordant des délais beaucoup plus réduits que ceux accordés par la CIMA.
LA SOLVABILITÉ ET LA CRÉDIBILITÉ D’UNE SOCIÉTÉ D’ASSURANCE SONT TRIBUTAIRES DU NIVEAU DE SES FONDS PROPRES.
Au niveau de la zone, les compagnies d’assurances sont-elles prêtes pour les augmentations de capital préconisées par le régulateur à travers ses nouvelles exigences financières ?
Le règlement de la CIMA de 2016 sur l’augmentation du capital impartissant aux entreprises d’assurance un délai de trois (3) ans pour procéder à la première augmentation fixée à 3 milliards de FCFA. Pendant ce différé, les compagnies étaient appelées à développer les stratégies de capitalisation ou de regroupement appropriés pour se conformer à la nouvelle réglementation. Ce qui est observé, c’est que le nombre de fusions est relativement faible, la plupart ont préféré ouvrir leur capital. Le nombre d’acteurs baissera certes, mais pas dans les proportions prévues lors de l’adoption de cette mesure
LES EFFETS ESCOMPTÉS DE LA RÉFORME SONT ATTEINTS, CELA MARQUERA À COUP SÛR UN NOUVEAU DÉPART POUR LE SECTEUR DES ASSURANCES DE LA ZONE CIMA
Comment se porte la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (FANAF) ?
La FANAF se porte bien et poursuit tranquillement son agenda annuel. Les travaux de l’Assemblée Générale, qui s’est tenue au mois de février à Tunis, se sont déroulés dans d’excellentes conditions et ont été couronnés de succès d’après les avis qui nous sont parvenus. Le travail se poursuit avec, en perspective, l’organisation de la 5ème édition du Forum des marchés dans le second semestre de l’année. Entre-temps, sera organisé le traditionnel Voyage d’étude, du 02 au 12 août 2019 à Dubaï, à l’intention des manageurs des entreprises d’assurances. Le thème de cette édition porte sur : « L’efficacité managériale d’un dirigeant d’entreprise. » Brièvement, c’est ce sur quoi s’active la Fédération en marge des travaux préparatoires déjà lancés pour l’organisation de la prochaine Assemblée Générale que Libreville (République Gabonaise) aura l’honneur d’abriter au mois de février 2020.
Quelles ont été les grandes recommandations et les principales conclusions issues de cette 43ème assemblée générale de la Fanaf qui s’est tenue à Tunis ?
Les quatre journées de travaux de Tunis, en plus de se pencher sur les différents points de l’ordre du jour de l’Assemblée Générale Ordinaire, ont été l’occasion pour toutes les forces vives de l’industrie des assurances africaines de discuter et d’échanger sur les défis actuels qui interpellent le secteur et que la 43ème AG a essayé de cristalliser par le thème : « Quelle structure de marché pour promouvoir le développement de l’Assurance africaine ?» Ainsi, les grandes recommandations et conclusions qui ont sanctionné ces assises, ont été érigées en des résolutions fortes par les délégués. Sur la problématique qui réunissait les mille (1 000) congressistes venus de tous les continents, le curseur a été surtout pointé sur deux principales priorités nécessaires à la définition de la nouvelle structure que doit arborer l’Assurance africaine pour s’engager sur le chemin irréversible du développement. Il s’agit : du « capital humain requis pour accompagner le développement de l’Assurance africaine » et des « enjeux de la régulation et de la supervision pour le développement de l’Assurance africaine ». L’intégralité des résolutions issues des travaux de la 43ème Assemblée Générale de la FANAF est disponible sur le site web de la Fédération : www. fanaf.org
LES STATISTIQUES CONSOLIDÉES DE 16 PAYS DE LA ZONE FANAF FONT RESSORTIR, EN 2017, UN CHIFFRE D’AFFAIRES DE 1 231,2 MILLIARDS DE FRANCS CFA
Quels sont les chiffres du secteur dans l’espace de la FANAF en termes de chiffres d’affaires, de primes émises, de création d’emplois, de structures de marché et les actualités sur les marchés- clés (santé, prévoyance, dommages des entreprises) ?
Les statistiques consolidées de 16 pays de la zone FANAF font ressortir, en 2017, un chiffre d’affaires de 1 231,2 milliards de FCFA, en progression de 5,1% par rapport en 2016. Les prestations payées à la même année se chiffrent à 511,9 milliards de FCFA. La zone représente plus de 10 000 emplois directs, 30 000 induits.
Quelles sont les problématiques actuelles du secteur des assurances en Afrique et la place de l’assurance africaine dans le monde ?
« >Malgré la progression de l’Assurance africaine enregistrée ces dernières années, son poids dans les primes mondiales stagne à moins de 1.5%. Corrélativement la pénétration reste faible pour le continent avec moins de 3%. Des avancées significatives ont certes été enregistrées dans beaucoup de domaines, mais cela ne devrait pas occulter les fragilités qui subsistent et qui doivent nous rappeler nos devoirs. Entre autres obstacles qui retardent l’envol de l’Assurance africaine, on peut citer, la faiblesse dans la communication, le manque de produits innovants et réellement adaptés aux besoins des assurables, l’image négative véhiculée par la lourdeur des procédures de règlement de sinistres automobile, la rareté des ressources humaines.
Quels sont les défis liés au développement de l’assurance africaine ?
En plus des freins évoqués ci-dessus, le principal défi qui interpelle le développement de l’Assurance africaine est l’ancrage de la culture d’assurance chez les populations, surtout à faible revenu et celles du secteur dit « informel » qui, jusque-là, sont quasiment exclues du système des assurances. Pour toucher cette cible importante, les assureurs sont aussi invités à réinventer leurs stratégies et leur business modèl.
Quel regard portez vous sur l’évolution du secteur des assurances à travers la digitalisation, la bancassurance, l’assurance islamique Takaful, ou la micro assurance ?
Ces nouvelles formes d’assurance que sont la micro assurance et l’assurance Takaful, ainsi que les nouveaux canaux alternatifs de distribution, tels que la bancassurance et le digital, sont de véritables leviers pour booster le développement de l’Assurance africaine.
Quelle est la contribution de l’apport de l’assurance dans l’économie ?
« Globalement, la contribution de l’Assurance dans l’économie se mesure par la part que représentent les primes sur les PIB et qui traduit le taux de pénétration. En 2017, les primes émises dans le monde représentent 6,1% du PIB mondial. Ce taux est de 3% en Afrique, il est inférieur à 1% au Sénégal. La faiblesse de ces chiffres masque l’importance de l’Assurance dans la protection de l’économie et la sécurisation des investissements. Les assureurs de la FANAF ont généré 1 100 milliards de FCFA de primes, payé 450 milliards de FCFA de sinistres, placé dans les économies plus de 2 500 milliards de FCFA et protégé des investissements dont les capitaux sous risques dépassent 50% du PIB des pays concernés.
Quels sont les enjeux créés par les perspectives petro gazières au Sénégal dans le secteur de l’assurance ?
« L’enjeu majeur est que la couverture des risques liés à l’exploration, au développement et à l’exploitation des risques pétroliers et gaziers contribue à l’optimisation des ressources attendues du pétrole dans l’économie nationale. Elle participe également à la nécessité de donner un contenu local adéquat aux retombées du pétrole et du gaz.
Le marché local prévoit la gestion de l’assurance des futurs risques pétroliers dans le cadre d’un pool pétrolier, afin de sauvegarder les intérêts de l’économie nationale par une rétention plus grande des primes, mais aussi offrir aux investisseurs étrangers une capacité de couverture plus grande. Comment va s’articuler cette initiative de coassurance ?
« Le schéma est assez classique. Les sociétés délèguent au pool le pouvoir de négocier, de souscrire et de gérer pour leur compte les contrats pétroliers. Ces contrats seront couverts par l’ensemble des sociétés membres, chacune recevant une part égale du risque. Le pool organise également pour le compte des membres, en collaboration avec la Société Sénégalaise de Réassurance et les représentants des pétroliers, les cessions en réassurance. Il se charge enfin de renforcer les capacités des cadres du secteur des assurances, pour qu’ils puissent hisser leur niveau de compétence.
CETTE VOLONTÉ NE PEUT ÊTRE PLEINEMENT MISE EN ŒUVRE QUE SI LE MARCHÉ SE MONTRE SOLIDAIRE
Est-ce que tous les dirigeants de compagnies d’assurance ont approuvé et signé le projet de constitution du pool pétrolier au Sénégal, avec 29 sociétés d’assurances, n’y a-t-il pas des hésitations à ce sujet ? Des initiatives de coassurance ont réussi par le passé dans le domaine maritime et du transport en 1998. Comment comptez vous réaliser le défi de la coassurance pour l’émergence d’un pool pétrolier fort et être à même de capter cette manne pétrolière et par-delà réussir la couverture des grands projets ?
Au stade actuel, 28 sociétés membres de l’Association des Assureurs du Sénégal sur 29 ont signé et participent activement à cette initiative jugée salutaire pour le Sénégal et suivie avec beaucoup d’intérêt au-delà de nos frontières. Le pool a donc permis d’asseoir une dynamique unitaire au niveau du marché, parce que les sociétés ont compris que toute démarche individuelle nuirait à l’économie sénégalaise dans son ensemble.
Les majors du pétrole sont, en effet, connus pour leur propension à ne laisser que la portion congrue des ressources à nos pays. Elles ont, pour habitude, de jouer sur la division des acteurs pour organiser des fronting en laissant le moins de primes et le moins de commissions sur nos marchés. Conscients de ce phénomène, les Autorités ont adopté, depuis 2016, une réglementation très protectrice qui, si elle est bien appliquée, permettra à nos économies de garder le maximum de ressources. Cette volonté ne peut être pleinement mise en œuvre que si le marché se montre solidaire, adopte des règles communes et privilégie l’intérêt général.
Assurance et risques pétro-gaziers au Sénégal : Quelle place pour les locaux ? Le risque pétrolier peut-il être assuré par le marché sénégalais ? Disposez-vous de la capacité suffisante pour absorber une plus grande marge des risques pétro-gaziers qui se profilent à l’horizon ?
« La capacité de couvrir les risques de pointe n’existe dans aucun pays du monde. C’est pourquoi, la réassurance organise une chaîne de répartition au niveau mondial. Cela vaut pour le pétrole, mais aussi pour tous les gros contrats dont les capitaux dépassent souvent les 500 milliards de FCFA, contrats qui sont gérés avec efficacité depuis de très longues années, par des assureurs sénégalais. Les exemples les plus visibles sont (la Senelec, la Sonatel, les ICS, les Cimenteries, la Sones, les Raffineries, les Navires de commerce, les Aéronefs, etc.) qui sont assurés par des sociétés sénégalaises depuis des décennies et les sinistres sont régulièrement payés sans incident. Le mécanisme utilisé depuis toujours et partout dans le monde, c’est que l’assureur local retient ce qu’il peut, intéresse les autres assureurs du marché par le biais de la coassurance. Ce qui permet de retenir le maximum d’affaires sur le marché sénégalais. Il cède les excédents à la SEN RE (La Société Sénégalaise de Réassurance) et aux autres réassureurs de l’espace CIMA, ce qu’ils peuvent absorber avant de céder la part excédentaire à la réassurance étrangère ou offshore. Ce mécanisme permet d’asseoir une mutualisation locale, régionale et internationale qui réduit l’exposition des acteurs et leurs exigences de fonds propres.
Pour l’Assurance des risques pétroliers, les majors cherchent souvent à se soustraire à ce mécanisme en étant leur propre assureur, lorsqu’ils interviennent dans nos pays. Pour cela, ils ont l’habitude de s’appuyer sur un assureur local (boîte aux lettres) qui émet les contrats d’assurances, ce qui leur permet de contourner la réglementation. Cette compagnie locale leur retourne ensuite, par le biais de la réassurance, 100% des affaires et perçoit une commission de 5 à 7%. En dehors du gonflement artificiel de son chiffre d’affaires, cette compagnie ne gagne pas grand-chose, car elle est obligée de payer 1,5% de frais de contrôle et 1% de Prélèvement sur les compagnies d’assurance à l’Etat. On voit donc que 93 à 95% des primes émises localement retournent aux réassureurs offshore (captives) des pétroliers, ce qui minimise les retombées pour le marché local. C’est pour légitimer et pérenniser ce type de pratiques que des arguments du type « faiblesse de la surface financière » sont brandis.
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