En 2020, le nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition dans le Monde était déjà en augmentation en raison d’une importance des conflits violents et des effets du changement climatique. Aujourd’hui, plus de 800 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique et plus
de 100 millions d’individus ont besoin d’une aide alimentaire vitale, selon le Programme Alimentaire Mondial
(PAM). La crise du COVID-19, risque d’annihiler les efforts des gouvernements, des organisations humanitaires et de sécurité alimentaire qui cherchent à inverser ces tendances depuis quelques années. Chaque épidémie majeure de mémoire récente, Ebola, SRAS, MERS, a eu des impacts négatifs directs et indirects sur la sécurité alimentaire.
Le COVID-19 représente une grande menace pour les pays africains souffrant d’une pauvreté importante
et d’infrastructures de soins. Cette crise entraîne des risques considérables pour les populations déjà
vulnérables vivant dans les pays africains présentant de graves déficits de développement, des capacités
gouvernementales limitées et, surtout, des infrastructures de santé déficientes. Bien que le coronavirus ait
mis du temps à atteindre l’Afrique subsaharienne, la plupart des experts conviennent que son impact est imminent (et peut déjà être sous-estimé étant donné le manque de capacités de test).
Le COVID-19 peut s’avérer particulièrement mortel pour les personnes souffrant de faim ou de malnutrition chronique ou aiguë.
Les 1,2 milliard de personnes en Afrique sont confrontées au pourcentage de sous-alimentation le plus élevé
de la planète, affectant plus de 20% de la population. Le virus COVID-19 s’est révélé particulièrement mortel pour
les personnes âgées ou dont la santé est déjà compromise. Cela inclut probablement les personnes souffrant de
malnutrition. Par exemple, on pense que le taux de survie des patients souffrant d’Ebola a été affecté par ce
que les professionnels de la santé appellent « l’état nutritionnel précédent » ou la santé nutritionnelle de base des personnes touchées par le virus.
Le COVID-19 peut provoquer des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire, des pénuries alimentaires et des flambées des prix alimentaires.
Les chaînes d’approvisionnement agroalimentaire locales enregistrent déjà des perturbations, y compris
un accès réduit aux intrants et aux services, des mouvements de main d’œuvre, des blocages au niveau des
transports et des routes, ainsi que des difficultés d’accès au crédit ou aux liquidités. Ces perturbations s’ajoutent
aux perturbations des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial telles que les interdictions d’exporter
qui affectent la sécurité alimentaire de pays africains importateurs de denrées alimentaires. Par exemple, la Russie, 1ère exportatrice mondiale de blé et d’autres céréales, vient de suspendre ses exportations
de blé jusqu’au mois de juillet afin de sécuriser sa demande intérieure en période de Covid-19.
Cette décision peut créer une pénurie et va accroître les prix au niveau mondial. Les pays du
sud risquent d’en souffrir. Il y a donc un besoin urgent de réponses politiques mieux coordonnées, fondées sur les faits, et accompagnées de financements, de façon à éviter une crise alimentaire majeure en Afrique résultant du COVID-19.
Le COVID-19 est susceptible de créer une grave crise en termes de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. Selon la Banque Mondiale, la contraction de la production agricole pourrait aller de 2,6 % dans le scénario optimiste jusqu’à 7 % dans le scénario avec blocages commerciaux. Les importations alimentaires baissent
également de façon considérable (de 13 à 25 %) en raison de la combinaison de coûts de transaction plus élevés avec une demande intérieure réduite. Ces constats reflètent les multiples canaux de transmission du COVID-19 sur l’activité économique en Afrique subsaharienne.
Jusqu’à présent, le nouveau coronavirus n’a pas montré d’impacts majeurs directs sur l’offre ou sur les prix des aliments de base dans les endroits touchés par le virus ou dans le Monde. Pendant les flambées de SRAS et de MERS en Chine, les marchés et les prix sur le marché local ont également été peu perturbés, en raison de
stocks tampons suffisants et de mesures prises pour assurer la circulation continue des marchandises. Cela n’a cependant pas toujours été le cas en Afrique subsaharienne.
L’épidémie d’Ebola en 2014, par exemple, a entraîné une augmentation spectaculaire des prix des aliments de base dans les pays touchés en Afrique de l’Ouest. En outre, la flambée des prix des denrées alimentaires de 2007-2008 montre que les restrictions à l’exportation, la spéculation sur le marché et le comportement de panique
étaient en partie responsables de l’augmentation spectaculaire des prix mondiaux des denrées alimentaires au cours de cette période – mesures contre lesquelles nous ne sommes pas protégés aujourd’hui.
Dans de nombreux pays en développement, des millions de familles consacrent déjà plus de la moitié de leurs revenus à l’alimentation dans des circonstances normales. Les pays qui dépendent fortement des aliments importés pour répondre à la demande, y compris l’Afrique subsaharienne, sont confrontés à un risque disproportionné de défaillances de la chaîne d’approvisionnement, en particulier face aux fermetures de frontières. Enfin, ce sont les impacts au niveau des agriculteurs qui quittent leurs champs en jachère en raison de maladies et de pannes dans les chaînes d’approvisionnement non alimentaires, comme les engrais et autres intrants essentiels, qui peuvent finalement avoir le plus d’impacts sur les économies des pays en développement.
La récession économique, la pauvreté et l’insécurité alimentaire s’accompagnent souvent. Il faut minimiser les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire intra-africaines, et maintenir ouverts les couloirs logistiques pour éviter l’apparition d’une crise alimentaire dans la région. Pour innover, des technologies numériques peuvent aider à anticiper les problèmes et à pallier les pénuries temporaires, ainsi qu’à développer la résilience des chaînes alimentaires.
Par exemple, la mise en place d’un système complémentaire d’information pour le suivi rapproché de la situation alimentaire et nutritionnelle dans tous les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest permettrait de réduire significativement les risques. Les systèmes d’alerte précoce de pénuries alimentaires et les systèmes associés d’approvisionnement alimentaire d’urgence devront être ajustés pour accroître l’attention portée aux
zones rurales et urbaines. Il est essentiel d’arriver à anticiper les effets du COVID-19 sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la vie des femmes et des enfants vulnérables. Une des actions les
plus importantes à prendre à l’échelle nationale et régionale consiste à garantir le maintien des
systèmes alimentaires et des chaînes de valeur.
Par Omar THIAM
Docteur en Sciences économiques
Directeur de l’Ecole de Management & de la Recherche du Groupe ISM
Omar.thiam@ism.edu.sn
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