Et de six pour les minoteries. Le marché de la farine va connaître de profondes mutations. Un secteur déjà saturé avec quatre acteurs et qui accueille, aujourd’hui, deux novices aux grandes ambitions. La redistribution des cartes est inéluctable. La guerre de la farine aura bel et bien lieu.
L’industrie de la farine serait-elle une poule aux œufs d’or ? En tout cas, le secteur fait aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises. Deux nouveaux meuniers, Sédima, leader dans l’aviculture et les Indiens de Olam, un mastodonte, sont venus s’ajouter aux quatre qui étaient déjà là. A savoir les historiques Grands Moulins de Dakar (GMD) et les Moulins Sentenac, le challenger NMA Sanders et le turc FKS.
Mais bon Dieu, qu’est-ce qui explique cette ruée alors que le marché semble déjà trop étroit pour ses occupants ? En effet, les quatre meuniers en présence peinaient à écouler leurs produits allant même jusqu’à se poser des questions. Une situation qui s’explique par la capacité de production qui dépasse, de loin, la demande nationale. Avec une capacité de production de 2 000 T/ jour à eux quatre alors que les besoins nationaux se limitaient entre 1 300 à 1 500 T/ jour.
En termes plus clairs, on était dans une situation de surproduction et la plupart des usines fonctionnent en sous-capacité. Si une telle situation prévaut déjà, qu’en sera-t-il avec l’arrivée des novices ? On peut se faire une idée. Ces derniers ajouteront au marché une production de +750 000 T/ jour, soit un total de 2 750 T.
En fait, le marché sénégalais importe 500 000 T de farine par an pour une facture de 80 milliards Fcfa alors que les usines installées disposent d’une capacité totale de production de 700 000 T par an. De quoi satisfaire la demande locale jusqu’en 2025, compte bien tenu d’une croissance démographique annuelle de 2,5% et d’une croissance du marché de 5%.
Dans un marché déjà saturé, alors pourquoi l’Etat a-t-il autorisé l’installation des nouvelles minoteries ? La réponse est à chercher dans ce qu’il gagne dans la manne financière générée par la farine. Il apporterait près 23,5 milliards/ an en TVA sans compter les droits de douanes appliqués à la matière première (blé).
La guerre étant très rude entre minoteries, l’inondation du marché va sans aucun doute impacter les coûts. Comme cela se passe partout ailleurs. Mais, la farine a la particularité d’être dérivée du blé, entièrement importé et qui constitue à peu près 85% du coût de revient. Le reste, soit 15%, sert à faire fonctionner les entreprises, à payer les charges sociales et fiscales, à amortir les investissements, renouveler les équipements… Surtout que, de l’avis de tous les meuniers, la marge est trop faible.
La sous-région, un marché déjà saturé ?
Avec le Marché commun, les entreprises de l’espace Uemoa peuvent commercer dans tous les pays de la sous-région. Mais, à l’heure où presque tous les pays de la zone ont leurs propres meuneries, la donne s’annonce assez compliquée. Au Mali, marché le plus proche, il y a déjà 4 meuniers là-bas, mais quand même avec une population plus vaste. Au Burkina aussi, le marché est assez ouvert, mais constitue déjà une chasse gardée des Ivoiriens. Chez eux, on vient d’autoriser deux nouvelles usines.
Au-delà de la sous-région, beaucoup de pays ont créé plusieurs meuneries. C’est le cas du Maroc, avec 200 unités, pour une population de 40 millions d’habitants mais elles sont toutes déficitaires et sous perfusion de l’Etat qui subventionne le blé. Au Cameroun, c’est pareil, avec 16 minotiers mais aucun ne gagne de l’argent.
Quand le syndrome du ciment guette…
Aujourd’hui, la configuration du marché de la farine rappelle exactement celui de la cimenterie. Face à un marché saturé, le géant Sococim et son concurrent Ciments du Sahel avaient décidé d’étendre leurs ailes au Mali, notamment, mais là aussi, ce pays voisin est en train de développer ses propres cimenteries. Les deux cimentiers locaux ne pouvaient pas comprendre l’arrivée d’une 3ème unité. Ils avaient déjà une capacité cumulée de 6 millions de tonnes pour un marché national de 2 millions de tonnes.
Pour la farine aussi, le principal effet est l’accentuation de la surproduction. Si elles continueront d’exister, à coup sûr, les minoteries devront se partager un très petit marché, donc de tourner très loin de leurs capacités installées. Et le risque est réel d’un impact négatif sur l’emploi avec des réductions prévisibles d’effectifs et tous les effets sociaux qui en découleraient…
L’homologation du prix de la farine, un couteau à double tranchant ?
Dans le souci de stabiliser le prix du pain et préserver la paix sociale, le gouvernement du Sénégal avait décidé de fixer le prix du sac de farine de 50 kg à 20 000 Fcfa, là où les boulangers réclamaient un prix de 18 900 Fcfa. Même si, pour leur part, les meuniers s’arrachent les cheveux devant une telle «hérésie» dans un marché libre où il est question de faire jouer la concurrence entre acteurs.
Mais, fixer les prix de la farine suffit-il pour contrôler les prix des produits dérivés de la farine ? En tout cas, les acteurs, qui disent souffrir de la taxation, estiment que l’Etat pouvait jouer sur les taxes, notamment la TVA qui frappe la farine. Comme c’est le cas en Côte d’Ivoire où la farine est exonérée de TVA, conduisant à un prix moins cher. Au Sénégal, ce n’est pas le cas. L’Etat n’a pas fait jouer le levier fiscal, encore moins n’a pas accordé des subventions pour soutenir les industriels de la farine. Aujourd’hui, quel que soit le comportement du marché mondial du blé, les prix de la farine au Sénégal restent homologués.
Il faut dire que c’est un gros business. La production mondiale de blé, matière première de la farine, est de l’ordre de 626 millions de tonnes par an. Les pays greniers à blé, à savoir la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Russie et l’Union Européenne, fournissent plus des deux tiers de la production mondiale. Ils sont suivis d’un second groupe, composé du Canada, de l’Australie, du Pakistan, de la Turquie et de l’Argentine, qui exerce une influence déterminante sur la fixation des prix mondiaux. Au Sénégal, les importations de blé sont estimées à 425 000 tonnes par an.
Continuer à exister pour les anciens, se faire une place pour les novices…
Si les minoteries ont en commun d’être sur un marché où l’offre dépasse, de loin, la demande, en interne, chacun a ses réalités qui lui sont propres. Pour soutenir la concurrence, il faut aller vers la production de farines élaborées avec plus de technologie qui permettent un meilleur rendement. Pour s’en sortir, il faut chercher à innover et diversifier l’activité, attaquer de nouveaux segments, faire beaucoup de recherche/ développement pour apporter une plus-value sur le marché.
Et le film apparaît sous deux séquences. La première, c’est les anciens qui, après avoir amorti leurs investissements, avaient fini de s’adapter au marché et ont donc, pour objectif de préserver les emplois et les acquis, à défaut de grandir. La 2ème séquence, c’est les deux novices qui débarquent avec des investissements assez conséquents pour chambouler le secteur. Pour eux, l’objectif est clair, c’est de gagner des parts de marché à côté des aînés, en attendant peut-être (pourquoi pas ?) de leur ravir la vedette…
Une guerre mortelle à Abidjan
Très clairement, la bataille de la farine va avoir lieu et ça risque de saigner. Surtout entre les GMD de Mimran et Sedima de Babacar Ngom. Ce dernier, sur les traces d’Ameth Amar (NMA, qui a été plutôt conciliant avec Mimran), a osé défier Big Mimran en débauchant Abibou Samb, l’ex-Directeur commercial des GMD, pour en faire le responsable de sa minoterie. On parle d’un investissement de 7 à 8 milliards, sur emprunt bancaire.
On raconte le précédent de la guerre mortelle entre les Grands Moulins d’Abidjan (GMA, Mimran), leader historique du marché et les Moulins Modernes de Côte d’Ivoire d’Ibrahim Ezzedine, un challenger très culotté. Ce dernier avait choisi la guerre frontale : recrutement de Jean-François Lafranchi, ex-patron des GMA, installation de sa minoterie sur la même rue que les GMA, capacité de production équivalente (300 000 T/an), le tout pour un investissement de 23 milliards Fcfa.
A la guerre comme à la guerre, parce qu’ayant déjà amorti ses installations depuis Mathusalem, Mimran cassa ses prix de moitié et le Libanais ne pouvait pas suivre. Il perdait des millions par jour et était déprimé comme pas possible. Résultat des courses, on l’a retrouvé un jour, mort de crise cardiaque, au sortir de son jogging….