Si les institutions de micro finance peinent à baisser les taux, c’est parce que les microcrédits sont plus coûteux à gérer que les gros. C’est l’analyse de Madame Anta Caroline Dione, Directeur Général de Kajas Microfinance.

Vous avez eu votre agrément il n’y a pas plus de deux ans. Pouvez-vous revenir sur les péripéties ?
Au lieu de péripéties, nous parlerons plutôt de parcours laborieux pour obtenir notre agrément. En effet, KAJAS Microfinance SA qui existe depuis 2008, a obtenu son agrément de la DRS (Direction de la Règlementation et de la Supervision) en 2011. C’est vrai que la procédure est longue car, plusieurs acteurs sont appelés à analyser les demandes d’agrément : la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest), le MEF (Ministère de l’Economie et des Finances) à travers la DRS, puis interviennent dans le processus une fois l’agrément reçu, la DMF (Direction de la Microfinance) ainsi que l’AP/SFD (Association Professionnelle des Systèmes Financiers Décentralisés). Il serait bon que les autorités envisagent un mécanisme de fonctionnement moins ‘‘lourd’’ administrativement, et qui in-fine abouterait au même résultat : l’assainissement du secteur.
Une IMF sous forme de Société Anonyme pourquoi cette particularité ?
C’est vrai que la plupart des institutions de micro finance du Sénégal sont constituées sous forme mutualiste, ce qui, administrativement, ne convient pas au Groupe SUNU Assurances, actionnaire majoritaire de KAJAS Microfinance. Il faut savoir que SUNU Assurances est un groupe africain d’Assurances, leader de l’Assurance Vie en zone CIMA (14 pays de la zone Franc) et présent dans 11 pays à travers 19 filiales. La stratégie du Groupe SUNU Assurances en créant KAJAS Microfinance, est non seulement de contribuer à la réduction de la pauvreté en permettant à des acteurs économiques d’accéder à des financements, mais aussi de permettre à ces populations de protéger leur famille, leurs biens et eux-mêmes par le biais des produits de micro Assurances.Aujourd’hui, quel est votre positionnement sur le marché ?
Même si KAJAS est né en 2008, ce n’est que depuis l’obtention de notre agrément que nous avons véritablement démarré nos activités. De sorte qu’à ce jour KAJAS, c’est 7 000 clients, plus de quatre (4) milliards F CFA de crédits octroyés et de l’épargne accumulée à hauteur de un milliard cinq cent millions (1.500.000.000) F CFA. Nous avons 3 agences à Dakar : Gueule Tapée, Kermel et Colobane. Kermel en plus de l’agence accueil aussi le siège social depuis cette année. Notre principale cible est constituée des marchands, TPE et PME. Aujourd’hui, nous estimons que notre Institution contribue favorablement au développement économique du pays bien que nous n’ayons accès à aucune subvention.
Les IMF sont toujours perçues comme une réponse aux problèmes de financements des PME. Avez-vous pris cet aspect en compte ?
L’octroi des microcrédits qui s’adressent à des entreprises de petite taille afin de leur permettre d’initier ou de pérenniser leur activité ou, à des particuliers pour les aider à financer un projet d’insertion sociale ou professionnelle, constitue, de nos jours, le cœur de notre métier qu’est la Microfinance. Cependant, le secteur tend à se développer et à élargir ses offres par une large gamme de produits et services financiers, incluant par exemple, des services de micro-assurance et de micro-épargne, proposés par des acteurs de plus en plus nombreux. A KAJAS, nous ciblons essentiellement les TPE (Très Petites Entreprises) quand bien même, nous finançons actuellement quelques PME (Petites et Moyennes Entreprises).
Peut-on avoir une idée du montant des financements accordés aux PME et TPE ?
Au 01/10/2014, les PME et TPE représentent 88 % du portefeuille de KAJAS MICROFINANCE. Les PME et TPE ont reçu un financement global de 4,47 Milliards de Francs CFA. L’encours actuel de crédits dans nos livres s’élève à plus de 2 Milliards F CFA pour cette branche seulement.
Nous envisageons pour l’année 2014 accorder aux TPE et PME 2,60 Milliards de F CFA de crédits.
Quel est votre portefeuille clients aujourd’hui ?
Nous sommes à environ 7 000 clients actifs. Sachant qu’au 1er janvier de cette année, nous étions à 3 989 clients, ce qui vous montre la croissance de notre structure et l’élan que nous sommes en train de prendre. Le nombre de nouveaux comptes a augmenté de 57 %, entre Janvier 2014 et septembre de la même année.
L’essentiel des clients déplorent les taux d’intérêt jugés très élevés. Y-a-t-il moyen de les baisser ?
Les microcrédits (crédits de montant faible) sont plus coûteux à gérer que les gros, parce quelques dossiers de montage et d’analyse prennent plus de temps à être traités. En l’absence d’un historique d’emploi et de toute garantie, ce type de prêt nécessite, une longue évaluation manuelle pour apprécier la solvabilité de l’emprunteur potentiel. KAJAS envoie systématiquement, l’un de ses représentants rendre visite au client dans le cadre de ce processus, ce qui rend celui-ci encore plus compliqué et coûteux dans les zones reculées ou, à faible densité de population. Une fois qu’un prêt a été approuvé, KAJAS décaisse les fonds et doit ensuite effectuer un suivi très pointilleux des remboursements, ce qui ajoute encore des frais significatifs par rapport au mode opératoire des banques traditionnelles. Les IMF doivent donc facturer des taux d’intérêts supérieurs aux taux bancaires standards pour couvrir leurs charges et, être en mesure de continuer à proposer ces services. La bonne nouvelle c’est que, les nouvelles technologies et les modèles commerciaux modernes sont en train de faire émerger des modes de prestation inédits permettant de faire baisser les coûts et d’atteindre davantage de personnes. Les banques et les IMF peuvent par exemple utiliser l’argent mobile et les réseaux d’agents/détaillants pour décaisser les prêts et collecter les paiements au lieu de faire déplacer des agents de crédits dans des zones reculées. Des innovations de ce genre contribuent à faire baisser les charges de fonctionnement de nos structures, et par voie de conséquence, les coûts que nous facturons à nos clients. D’ailleurs cette année (2014) la BCEAO a revu à la baisse, le TEG (Taux Effectif Global) du secteur, passant de 27% à 24 %, ce qui correspond à une baisse relativement importante, des coûts financiers d’un crédit, pour la clientèle mais, constituant un manque à gagner non négligeable pour les IMF.
Comment voyez-vous le secteur de la Microfinance aujourd’hui ?
La microfinance constitue indubitablement, un levier majeur d’inclusion financière des populations les plus vulnérables. Un panel de réflexion sur l’avenir de la Microfinance afin de rester, un outil d’inclusion des populations les plus précaires et d’élargissement de sa base, par approche, devra être considéré attentivement, dans les années à venir, notamment à l’échéance des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) en 2015. Au niveau mondial, la Microfinance a connu de nombreuses avancées depuis 2011. Le montant total des prêts octroyés s’élevait à 81,5 milliards de dollars en 2012, ce qui représentait une croissance de plus de 20% par rapport à 2011. Le nombre d’emprunteurs lui, s’élevait à 91,4 millions en 2012 et 97,3 millions en 2013, enregistrant une croissance moyenne de 5,7% depuis 2011. S’il ne fait aucun doute que, la Microfinance continuera de se développer dans les années à venir, elle devra également faire face à de nombreux défis comme, entre autres : l’amélioration de l’offre qui s’accompagnera de la nécessité de développer de nouveaux produits et services afin de répondre aux besoins d’un nombre croissant de clients, l’élaboration de nouvelles réglementations convergentes du secteur, voire d’indicateurs de performance sociale. Parmi ces nouveaux enjeux, c’est sans conteste, la question de l’innovation technologique et de l’exploitation de nouveaux outils NTIC qui vont révolutionner le secteur. En effet, sur les 2,5 milliards de personnes non bancarisées aujourd’hui, 1 milliard d’entre elles possèdent un téléphone portable. A l’heure également où, certains pays détiennent plus de comptes d’argent mobile que de comptes bancaires (le Kenya, le Cameroun et la Tanzanie par exemple), les services et les applications mobiles de paiement en ligne et de transfert d’argent semblent représenter une véritable opportunité pour l’avenir de la Microfinance. De ce fait, ces nouvelles technologies vont, à terme, révolutionner le mode de fonctionnement de la Microfinance, leur développement s’accompagnera nécessairement de l’émergence de nouveaux acteurs venant élargir l’offre proposée par les banques traditionnelles et les institutions de Microfinance actuelles. Aujourd’hui, les avancées de la Microfinance sont indéniables, car ce secteur est aujourd’hui considéré comme un levier majeur d’inclusion financière. Elle permet à un nombre croissant de personnes non bancarisées d’avoir accès à des produits et des services financiers. Néanmoins, la Microfinance s’est développée pour répondre aux besoins de personnes exclues du système bancaire traditionnel qui sont également les populations les plus démunies. Ainsi, en dépit de toutes les raisons de se réjouir de l’essor de la Microfinance, l’on pourrait également espérer une diminution du nombre de personnes non bancarisées dans les années à venir.